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TUSCULANES, LIV. III.

Des malheureux mortels telle est la loi commune ;
Aucun d’eux n’est exempt d’ennuis, ni d’infortune.
Le père au désespoir met son Gis au cercueil,
Et lui-même à son tour met ses enfants en deuil.
Mais quoi ! quand la Mort vient l’arrêter dans sa course,
Né d’un limon fragile, il retourne à sa source.
Le sort ainsi le veut, (que sert d’en frissonner ?)
Et la fatale faux nous doit tous moissonner.


Un tel langage paraissait à Carnéade n’avoir rien de consolant. Car, selon lui, c’est un nouveau sujet d’affliction d’être soumis aune si cruelle nécessité ; et l’énumération des maux d’autrui n’est bonne qu’à réjouir les malveillants et les envieux. Je pense bien différemment. Car la nécessité de supporter la condition humaine nous défend de lutter contre la nature, non plus que contre une divinité ; et en m’avertissant que je suis homme, elle me rappelle un souvenir propre à me calmer. Si l’on propose aux affligés des compagnons d’infortune, ce n’est pas pour réjouir les mal intentionnés, mais afin que celui qui souffre, apprenne à prendre patience, voyant que tant d’autres ont doucement supporté leurs maux. On a raison de chercher à étayer de toutes manières une âme ébranlée par la violence du chagrin. Vous le détruirez absolument, si, comme je l’ai dit d’abord, vous en voulez examiner la cause, qui n’est autre que le sentiment d’un grand mal présent et pressant. Car, comme dans les douleurs du corps, quelque vive qu’en soit l’atteinte, le malade est soutenu par l’espoir du retour de la santé, de même dans les douleurs de l’esprit, le souvenir d’une vie passée avec honneur est d’une si grande consolation, que les hommes qui ont cet avantage ne sont que peu ou point du tout touchés de l’adversité.

XXVI. Mais lorsqu’on croit avoir quelque grand sujet de tristesse, et que de plus on croit qu’il est nécessaire, qu’il est juste, qu’il est même du devoir d’en donner des marques, alors le trouble de l’àme est porté au dernier excès. De là sont venues toutes ces différentes et ridicules manières démarquer le deuil ; ces lamentations, ces cris affreux de femmes, ces joues déchirées, ces seins meurtris ; ces têtes échevelées, ces habits en lambeaux. De là ces folles peintures, qu’Homère et Accius fout d’Agamemnon,

Dans la vive douleur, dont l’excès le domine,
S’arrachant les cheveux, se frappant la poitrine.


« Comme si une tête pelée, disait assez plaisamment Bion, était plus tôt consolée qu’une autre. » Toutes ces extravagances sont l’effet du préjugé général, que cela se doit faire de la sorte. C’est ce qui donna lieu à Eschine d’invectiver contre Démosthène, pour avoir, contre la coutume, fait un sacrifice sept jours après la mort de sa fille. Mais avec quelle éloquence ! avec quelle fécondité ! quel torrent coule de sa bouche ! quels traits ne lance-t-il point contre son ennemi ! Bel exemple de la licence effrénée des orateurs ; mais qui n’aurait en cette occasion trouvé aucun approbateur, si nous n’avions l’esprit imbu du faux préjugé, que tous les honnêtes gens doivent être vivement touchés de la mort de leurs proches. Pleins de ces idées, les uns se sont enfoncés dans les déserts, comme Bellérophon, qui, suivant Homère,

Le cœur rongé d’ennuis, en de sauvages lieux
Allait fuir des humains les regards odieux :


D’autres ont marqué leur douleur d’une autre ma

Mortalis nemo est, quem non attingat dolor,
Morbusque. Multis sont humandi libcri,
Rursum creaudi : morsque est linita omnibus :
Quœ generi humano angorem nequicquam afferunt :
Reddenda est terra terra : tum vita omnibus
Metenda, ut fruges. Sic jubet Nécessitas.


Negabat genus hoc orationis quidquam omnino ad levandam aegritudinem pertinere. Idenimipsum dolendumesse dicebat, quod in lam crudelem necessitatem incidissemus. Nam illam quidem orationem ex commemoralione alienorum malorum ad malevolos consolandos esse accommodatam. Mini vero longe videtur secus : nam et nécessitas ferendse conditionis humanae quasi cum Deo pugnare cohibet admonetque esse hominem : quse cogitatio magnopere luctum levât : et enumeratio exemplorum non, ut animum inalevolorum oblectet, affertur, sed utille, qui mreret, ferendum sibi id censeat, quod videat multos moderate et tranquille lulisse. Omnibus enim modis fulciendi sunt, qui ruunt, nec cohaerere possunt propter magniludinem œgritudinis. Exquoipsam ægritudinem λύπην (lupên) Chrysippus, quasi λύσιν (lusin), id est solutionem totius hominis, appellatam putat. Quae tota poteratevelli, explicata, ut principiodixi, causa œgritudinis. Est ènim nulla alia,nisi opinio, et judicium magni prœsentis atque urgentis mali. Itaque et dolor corporis, cujus est morsus acerrimus, perfertur spe proposita honi : et acta oetas honeste ac splendide tantam affert consolationem, ut eos, qui ita vixerint, aut non attingat regritudo, aut perleviter pungat animi dolor.

XXVI. Sed ad liane opinionem magni mali cum illaetiam opinio accessit, oportere, rectum esse, ad officium pertinere, ferre illud eegre, quod accident : tum denique efficitur illa gravis œgriludinis perturbatio. Ex hac opinione sunt illa varia, et detestabilia gênera lugendi, paedores, muliebres lacerationes genarum, pectoris, feminum, capitis perenssiones. Hinc ille Agamemnon Homericus, et idem Accianus,

Scindens dolore identidem intonsam comam. In quo facetum illud Bionis, perinde slultissimum regem in luclu capillum sibi evellere, quasi calvitio mœror levarelur. Sed hæc omnia fa< iunt, opinantes ita fieri oportere. Itaque et yEschines in Demosthenem invehitur, quod is septimodie postfiline mortem hostias immolasset. At quam rhetorice ! quam copiose ! qnassententiascolligit ! quse verba contorquet ! ut licere quidvis rhetori intelligas. Quae nemo probaret, nisi insitum illud in animis haberemus, omnes bonos interitu suorum quam gravissime mœrere oportere. Ex hoc evenit, ut in animi doloi ibus alii solitudines captent, ut ait Homerus de Bellerophonte, Qui miser in campis moerens errabat Aleis, Ipse suum cor edens, hominum vestjgia vitans. Et Niobe fingitur lapidea, propter aeternum, credo, in