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CICÉRON.

mère, comme Niobé, qu’on feint avoir été métamorphosée en pierre, parée qu’apparemment la tristesse la rendit muette : ou comme Hécube, qu’on dit avoir été changée en chienne, sans doute à cause de la rage extrême que ses chagrins lui causèrent. Quelques autres se plaisent à entretenir de leur douleur les forêts, les rochers, ou autres choses pareilles ; témoin ce discours de la nourrice de Médée dans Ennius :

Terre, qui me portez ; cieux, qui voyez mes pleurs,
De la triste Médée apprenez les malheurs.

XXVII. Tous ceux qui en usent ainsi, se croient fondés en justice, en raison, en bienséance, et ils regardent ces choses comme une espèce de devoir. Cela est si vrai, que s’il est échappé à une personne, qui se croit obligée d’être dans le deuil, de faire quelque chose de moins triste, ou de marquer tant soit peu d’enjouement, elle se le reproche aussitôt comme une faute, et reprend un visage affligé. Les mères mêmes et les gouverneurs lissent en pareil cas les enfants, et les corrigent, non-seulement par des paroles, mais encore par des coups ; les obligeant à verser des larmes malgré eux, pour s’être ainsi égayés hors de saison. Mais quoi ! la fin du deuil, après qu’on y est parvenu, et qu’on a reconnu l’inutilité des pleurs, ne fait-elle pas bien sentir qu’on ne s’est affligé que parce qu’on l’a bien voulu ? Souvenons-nous de ce vieillard de Térence, qui prend, plaisir à se tourmenter, et qui dit : Ma rigueur pour mon fils, cher Chermès, fut extrême, Aussi j’ai résolu de m’en punir moi-même. Le voilà qui se détermine à être malheureux. Or se détermine-t-on malgré soi ?

Les maux les plus affreux, je les ai mérités, ajoute ce bonhomme. S’il n’est pas malheureux, il se croit digne de l’être. Vous voyez donc que le mal est imaginaire, et non réel. Quelquefois aussi les circonstances ne permettent pas de se livrer à la douleur. Telles sont les horreurs de la guerre, où l’on se voit environné de morts et de mourants ; comme quand Ulysse parlait ainsi dans Homère :

De nos morts, il est vrai, la campagne est couverte. Mais c’est trop s’arrêter à déplorer leur perte. Dressons-leur des bûchers. Cuis, en braves soldats, Mettons fin à des pleins qui ne nous vengent pas. On est donc maître, pour se conformer au temps, de résister à la douleur ; et puisque cela dépend de nous, est-il quelque temps qui ne nous invite à la bannir ? Ceux qui virent assassiner Pompée, effrayés de ce cruel spectacle, et de se voir entourés d’une Hotte d’ennemis, ne songèrent qu’à presser les rameurs, et à chercher leur salut dans la fuite ; en sorte qu’ils ne commencèrent à bien sentir la perte de ce grand homme, et à la déplorer, que quand ils furent arrivés à Tyr. La crainte aura-t-elle donc pu fermer l’entrée à la tristesse dans leurs cœurs ; et la raison ne le pourra-t-elle pas dans l’esprit du sage ?

XXVIII. Qu’y a-t-il encore de plus efficace pour arrêter le cours de nos chagrins, que de voir qu’ils ne nous ont été d’aucun fruit, et que nous nous sommes affligés en pure perte ! Si donc le chagrin peut finir, il peut ne pas commencer ; et par conséquent avouons qu’on ne s’afflige que parce qu’on le veut bien. Une autre preuve de cette vérité, c’est que ceux qui ont essuyé de grandes et de fréquentes adversités ne sont presque plus

luctu silentium. Hecubam antem pillant, propter animi acerbitatem quamclam et rabiem, fingi in canem esse conversam. Sunt autemalii, quosinluctu cura ipsa solitudine loqui sæpe delectat, ut illa apud Ennium nutrix :

Cupido cepit miseram nunc me proloqui
Cœlo atque teme Medeai miserias.

XXVII. Hæc omnia recta, vera, débita pulanles, fa-I in dolore : maximeque declaratur hoc quasi ofiîcii judicio fieri ; quod >i qui forte, cum se in luctu esse vellent, aliquid fecerunt humanius, aut si hilarius locuti sunt, revocant se rursus ad mœstitiam, peccatique se insimulent, quod dolere intermiserint. Pueros vero matres et magistri castigare etiam solent, nec verbis solum, sed etiam verberibus, si quid in domestico luctu hilarius ab iis factum est, aut dictum : plorare cogunt. Quid ? ipsa remissio luctus cum est consecuta, intellectumque est nihil profici mœrendo, nonne res declarat fuisse tolum illud voluntarium ? Quid ille Terentianus ipse se puniens, id est ἑαυτὸν τιμωρούμενος (heauton timôroumenos)

Decrevi, tantisper me minus injuriæ,
Chremes, meo gnato facere, dum fiam miser.


Hic decernit, ut miser sit. Num quis igitur quidquam decernit invitus ?

Malo quidem me quovis dignum deputem.


Malo se dignum deputat, nisi miser sit. Vides ergo opinionis esse, non naturœ malum. Quid, quos res ipsa Ingère prohibet ? nt apud Homerum quolidianaeneces, interitus-I que multorum sedationem mœrendi affermit : apud quem ita dicitur :

Namque nimis multos, atque omni lucecadentes
Cernimus, ul nemo possit mœrore vacare.
Qn<> magis est a-quum tumulis mandare peremptos
Firmo animo, et luctum lacrimis finire diurnis.


Ergo in potestate est abjicere dolorcm, cum velis, tempoientera. An est nllum tempus, (quoniam quidem res in nostra potestate est ) coi non poneiube segritudinis causa serviamus ? Constabat, cos qui concidentem vulncribns Cn. Pompeium vidissent, cum in illo ipso acerbissim omiserrirooque Bpeclaculo sibi limèrent, quod se classe hoslinm cii cuinfusos vidèrent, nihil lumaliiid egisse, nisi ut 9 bortarentur, et nt salutem adipiscerentur fuga : posteaquam Tyrum venissent, tum affiietari, lamentariqaecœpisse. Timor igitur ab iis aegritudinem potuit repeUere : ratio an sapientia vera non poterit ?

XXVIII. Quid est autem, quod plusvaleatadponendum dolorem, qnam cum est intellectom niliil profici, et fru esse susceptum ? Si igitur deponi potest, etiam non