Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assiégeait, rejeté par P. l’Africain jusque dans le sein de la cité ennemie. M. Caton, que nous regardons tous, nous qui marchons sur ses traces, comme le modèle du citoyen actif et dévoué, pouvait sans doute, alors qu’il était inconnu et sans nom, goûter les douceurs du repos dans les champs de Tusculum, sous ce beau ciel et si près de Rome. Mais il fut assez insensé, si l’on en croit ces partisans de la mollesse, pour s’exposer jusqu’à son extrême vieillesse, sans que rien lui en fit un devoir, sur cette mer orageuse des affaires publiques, et préférer tant d’agitation aux charmes d’une vie retirée et tranquille. Je pourrais citer un nombre infini d’hommes qui tous ont rendu à notre patrie des services signalés ; mais je me fais surtout une loi de ne nommer aucun de ceux qui se rapprochent de notre âge, afin que personne ne puisse se plaindre de mon silence sur quelqu’un de sa famille ou sur lui-même. Tout ce que je veux faire entendre, c’est que la nature a fait aux hommes une telle nécessité de la vertu, et leur a inspiré une si vive ardeur pour la défense du salut commun, que cette noble impulsion triomphe facilement de toutes les séductions de la volupté et du repos.

II. Il n’en est pas de la vertu comme d’un art, on ne l’a point si on ne la met en pratique. Vous pouvez ne pas exercer un art et le posséder cependant, car il demeure avec la théorie ; la vertu est tout entière dans les œuvres, et le plus grand emploi de la vertu, c’est le gouvernement des États, et la perfection accomplie, non plus en paroles, mais en réalité, de toutes ces grandes parties dont on fait tant de bruit dans la poussière des écoles. Il n’est aucun précepte de la philosophie, j’entends de ceux qui sont honnêtes et dignes de l’homme, qui n’ait été quelque part deviné et mis en pratique par les législateurs des peuples. D’où viennent la piété et la religion ? A qui devons-nous le droit public et les lois civiles ? La justice, la bonne foi, l’équité, et avec elles la pudeur, la tempérance, cette noble aversion pour ce qui nous dégrade, l’amour de la gloire et de l’honneur, le courage à supporter les travaux et les périls, qui donc les a enseignés aux hommes ? Ceux-là même qui, après avoir confié à l’éducation les semences de toutes ces vertus, ont établi les unes dans les mœurs, et sanctionné les autres par les lois. On demandait à l’un des plus célèbres philosophes, Xénocrate, ce que ses disciples gagnaient à ses leçons : « Ce qu’ils y gagnent ? répondit-il ; c’est qu’ils apprennent à faire de leur propre mouvement ce que les lois ordonnent. » Il faut donc en conclure que celui qui obtient d’un peuple entier, par l’empire salutaire et le frein des lois, ce que les philosophes peuvent à grand’peine persuader à quelques auditeurs, doit être mis fort au-dessus de ces docteurs habiles, malgré tous leurs beaux discours. Quelles merveilles leur talent peut-il produire, qui soient comparables à un grand corps social parfaitement établi sur le double fondement des lois et des mœurs ? Autant les grandes villes, « les cités dominatrices, » comme les appelle Ennius, l’emportent sur les bourgades et les châteaux forts, autant il me semble que la sagesse des hommes qui gouvernent ces cités et en règlent les destins, s’élève au-dessus d’une doctrine conçue loin du monde et du jour des affaires. Ainsi donc, puisque notre plus grande ambition est de servir la cause du genre humain ; puisque nos pensées et nos efforts n’ont véritablement qu’un seul but, donner à la