Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/296

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et je puis dire hardiment pour vous aussi, Lélius, et pour tous les vrais amis de la sagesse, étudier la nature, approfondir ses mystères, est une source de plaisirs inexprimables. — Lélius. Je ne m’oppose pas à ces belles spéculations, surtout un jour de fête ; mais pouvons-nous encore vous entendre, ou sommes-nous arrivés trop tard ? — Philus. Nous n’avions pas même commencé ; le champ est entièrement libre, et je suis tout prêt, Lélius, à vous céder la parole. — Lélius. Il vaut bien mieux vous entendre ; à moins toutefois que Manilius ne veuille, en jurisconsulte consommé, régler le litige entre les deux soleils, et assigner à chacun la possession définitive d’une partie du ciel. — Manilius. Vous ne cesserez donc pas, Lélius, de tourner en raillerie un art dans lequel vous excellez vous-même, et dont les lumières sont indispensables à l’homme pour qu’il sache quel est son droit, quel est le droit d’autrui ? Tout n’est pas dit là-dessus entre nous ; mais pour le moment écoutons Philus, que l’on consulte, à ce que je vois, sur des matières plus graves que celles qui nous exercent d’ordinaire, Mucius et moi.

XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n’est pas nouveau ; je n’en suis pas l’inventeur et ma mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants hommes de notre puys, comme vous ne l’ignorez pas, s’étant rencontré par hasard chez M. Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement semblable ; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l’aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J’avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d’œuvre d’Archimède, et j’avoue qu’au premier coup d’œil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d’apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m’empêcher de juger qu’il y avait eu dans ce Sicilien un génie d’une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d’atteindre. Gallus nous disait que l’invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle ; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n’était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente ; que la merveille de l’invention d’Archimède était l’art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l’horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme