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CICÉRON.

lère, lorsqu’il arracha le collier du Gaulois, ni Marcellus, lorsqu’il montra tant de bravoure à Clastidie. Pour Scipion l’Africain, que nous connaissons mieux. parce qu’il est moins éloigné de notre temps, je jurerais qiu’la colère ne le transportait nullement, lorsqu’il couvrit Alliénus de son bouclier, et enfonça son épée dans le sein de l’ennemi. Je ne l’assurerais pas si hardiment de Brutus : car la haine qu’il portait au t ran était si violente, que. lorsqu’il se jeta sur Aruns, l’emput bien y avoir part : et ce qui le rend vraisemblable, c’esl qu’ils se percèrent l’un l’autre de leurs lances dans le même instant. À quel propos voulez-vous donc ici de la colère ? ii ! la valeur n’est capable de rien, à moins qu’elle n’entre eu furie ? Hercule, que cette valeur, qu’il vous plaît de confondre avec la colère, a mis au rang des Dieux. était-il en courroux, quand il combattit le sanglier d’Érymanthe, ou le lion de née ? Thésée y était-il, quand il saisit par les cornes le taureau de Marathon ? Prenez-y bien garde, la colère bannit la réflexion, et cependant le courage la suppose : car, des que la raison n’y as, ce n’est plus vrai courage.

XXIII. Ayez un profond mépris pour tout ce qui peut arriver ; n’appréhendez point la mort ; regardez la peine et la douleur comme aisées à porter. Avec de tels principes, bien médités, et bien gravés dans le cœur, votre courage sera ferme, sera inébranlable : et ce que vous ferez de hardi, de grand, de vigoureux, ne craignez pas que nous l’imputions à la colère..Je n’accuserai point Scipion, ce souverain pontife, qui a si bien la maxime des Stoïciens, Que jamais le n’est homme privé ; je ne l’accuserai point voir agi par un mouvement de colère contre Gracchus, lorsque s’étant séparé du consul, qui ne montrait pas assez de s igueur, et oubliant qu’il n’était qu’homme privé, il commanda, comme s’il avait été consul, que tous ceux qui s’intéressaient a la république, eussent à le suivre. Pour ce qui me regarde personnellement, je ne sais si j’ai montré du courage, pendant que j’ai été à la tête de la république : mais, si j’en ai montré, assurément la colère n’y a point eu de part. Y a-t-il rien qui ressemble plus à la folie, que la colère ? Ennius a très-bien dit que c’en était du moins un commencement. Voyez les yeux, la voix, la couleur, la respiration d’un homme en colère. Voyez quel désordre dans ses discours, dans ses actions ! Qu’y a-t-il de plus indécent que la colère d’Achille et d’Asamemnon, dans Homère ? À l’égard d’Ajax, on sait que l’emportement le conduisit a la fureur ; et de la fureur, a la mort. Il n’est donc point nécessaire que le courage appelle la colère au secours. La valeur n’a besoin que d’elle-même. Autrement il faudrait dire que l’ivresse, et même la démence, lui sont utiles : puisque la démence et l’ivresse portent souvent à des actions ou il paraît du courage. Ajax fut toujours brave, mais il ne le fut jamais tant, si l’on en croit un poète, que dans ses accès de fureur.

XXIV. En conclura-t-on qu’il est utile d’être furieux ? Examinez comment on définit le courage ; vous comprendrez que la colère ne lui est bonne a rien. On le définit, Une telle disposition d’esprit, qu’on accepte tout ce qu’il plaît à la toi suprême de noua faire souffrir. Ou, La conservation d’un jugement, sain et ferme, lorsqu’il s’agit de supporter ou de repousser quelque chose qui nous paraît formidable. Ou, La