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TUSCULANES, LIV. IV.

science de mépriser les événements fâcheux, en se formant une juste idée de ce qu’ils sont, et conservant toujours cette idée. Ou, en moins de mots, comme Chrysippe, La science de ce qui est à souffrir. Ou enfin, Une telle disposition d’esprit, qu’on envisage sans frayeur, et qu’on supporte constamment tout ce que la loi suprême nous envoie de fâcheux. Cette dernière définition est encore de Chrysippe. Les trois premières sont de Sphérnus, que les Stoïciens croient l’homme du monde le plus habile dans l’art de bien définir. Elles se ressemblent fort, et ne font toutes que développer plus ou moins ce que chacun pense. Pour moi, quoique souvent je tombe sur les Stoïciens, comme faisait Carnéade, j’ai bien peur qu’il n’y ait qu’eux de philosophes. Car de toutes ces définitions, y en a-t-il une seule, qui ne rende parfaitement l’idée confuse que nous avons en nous-mêmes du courage ? Et lorsque cette idée est bien dépouillée, ia colère paraît-elle nécessaire au guerrier, au général, à l’orateur ? Les croira-t-on incapables d’agir comme il faut, si la rage ne les anime ? Quand les Stoïciens prétendent que tout homme qui n’est pas sage, est malade, ne raisonnent-ils pas conséquemment ? Jamais de passion, et surtout point de colère. On voudrait prendre cela pour un étrange paradoxe. Voici comment ils l’entendent : nous disons qu’il n’y a point de fou qui ne soit malade, comme on dit qu’il n’y a point de boue qui n’exhale une mauvaise odeur. Quelquefois la boue ne sent point : remuez-la, vous le saurez. Et de même, un homme colère, paraît tranquille dans certains moments : heurtez-le, vous allez le voir en fureur. Hé quoi ! cette colère qu’on approuve dans un guerrier, lui est-elle aussi de quelque utilité hors du combat, et lorsqu’il se trouve chez lui, avec sa femme, ses enfants ses domestiques ? Pour cela, il faudrait que l’esprit troublé fût quelquefois préférable au sens rassis. Car, se met-on en colère, sans que l’esprit se trouble ? Mais bien loin que l’emportement soit utile dans le commerce ordinaire de la vie, il n’y a rien, au contraire, de si odieux, ni qui rende plus insociable, que d’avoir l’esprit hargneux, et d’être toujours prêt à se fâcher.

XXV. Quant à l’orateur, il ne lui sied nullement de se mettre en colère ; il lui sied quelquefois de le feindre. Pensez-vous que je sois en courroux, toutes les fois qu’il m’arrive de hausser le ton et de m’échauffer ? Pensez-vous que l’affaire étant jugée, et absolument finie, s’il m’arrive de mettre mon discours par écrit, je sois en courroux la plume à la main ? Accius y était-il en composant ses tragédies ? Y croyez-vous Ésope, dans les endroits qu’il déclame avec le plus de feu ? Un orateur, qui sera vraiment orateur, aura encore plus de véhémence qu’un comédien ; mais sans passion, et toujours de sang-froid. Pour louer la cupidité, comme font les Péripatéticiens, ne faut-il pas qu’elle les aveugle ? Prennent-ils donc pour des branches de la cupidité, ces nobles inclinations, qui ont donné lieu aux travaux des grands hommes qu’ils nous citent, Thémistocle, Démosthène, Pythagore, Démocrite, Platon ? Mais les inclinations même les plus estimables, telles que celles-là, ne doivent rien prendre sur la tranquillité de l’esprit. À l’égard de la tristesse, qui est la chose du monde la plus détestable, comment des philosophes en font-ils l’éloge ? Qu’on approuve le mot d’Afranius, à la bonne heure ; cela est dit d’un