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TUSCULANES, LIV. IV.

sont excitées par des maux apparents. Passons à la cupidité et à la joie folle, qui ont pour objet des biens d'opinion. Selon moi, de quelque passion que Ton entreprenne de se guérir, l'essentiel consiste à bien comprendre qu'elles sont toutes l'ouvrage de notre imagination et de notre volonté. Revenons de nos préjugés, pensons plus sensément : et nos prétendus maux, de même que nos prétendus biens, feront sur nous une impression moins vive. Cela est vrai pour l'un, comme pour l'autre. Si cependant il arrive qu'on ait affaire à un esprit trop prévenu, il faut tenter d'autres remèdes, qui conviennent au genre de sa maladie. Le chagrin, la timidité, l'amour, le penchant à nuire, se traitent différemment. Dans l'opinion que j'ai suivie, comme la plus raisonnable, sur la nature des biens et des maux, il est aisé de faire voir qu'un fou, n'ayant point de véritable bien, ne peut avoir de véritable joie. Mais présentement je conforme mon langage aux idées communes. Je vous laisse prendre pour des biens, les honneurs, les richesses, les plaisirs, et le reste. De là il ne s'ensuit point que celui qui en jouit puisse honnêtement se livrer à une joie sans bornes. Il est permis de rire : mais de grands éclats de rire sont indécents. Un cœur dilaté par un excès de joie, n'est pas moins hors de son état naturel, que s'il était resserré par le chagrin. Les désirs ardents, et la joie excessive dans la possession de ce qu'on a désiré, sont opposés l'un comme l'autre à cette égalité, d'âme où la nature nous veut. Il y a faiblesse dans le chagrin, et légèreté dans la joie. C'est une espèce de chagrin que l'envie : c'est une joie détestable que le plaisir qu'on a du mal d'autrui. Pour vous préserver de tous les deux, il ne faut que songer a que ! point ils sont barbares et contre l'humanité. Mais, comme en condamnant la crainte on loue la précaution, de même, en blâmant une joie outrée, on approuve une joie douce et tranquille. Car, comme je l'ai déjà dit, le serrement du cœur n'est jamais bon ; mais l'épanouissement n'est mauvais que lorsqu'il va trop loin. Une joie douce et raisonnable, c'est, par exemple, celle d'Hector : Que je suis aise, mon père, de ni 1 entendre louer par vous, qui êtes un homme si digne de louange ! Une joie bien différente, c'est celle du jeune fou, que Trabéa fait parler ainsi :

 J'ai séduit par mon or la vieille gouvernante :
D'un geste, d'un coup d'œil, je lui commanderai :
La porte s'ouvrira dès que je paraîtrai :
Et cette beauté qui m'enchante,
Pleine d'un doux transport, prévenant mes désirs,
Va me faire expirer dans le sein des plaisirs.

Que cela lui paraît beau ! Aussi se croit-il

Au comble du bonheur suprême,
Plus fortuné cent fois que la Fortune même.

XXXII. Un peu de réflexion ne fait que trop voir la honte d'une semblable joie : et par conséquent puisqu'il est honteux de la témoigner, il y a du crime à la désirer. Pour ce qui s'appelle communément amour (et c'est en effet le terme propre) tout cela s'accorde si peu avec la gravité, que je n'y vois rien de plus opposé. Un de nos poètes dit cependant :

Amour, sur tout ce qui respire,
Étend son redoutable empire ;