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CICÉRON.

 Nos destins sont entre ses mains,
Il donne la mort ou la vie :
C’est ce Dieu, qui fait des humains
Ou la sagesse, ou la folie.

l’excellente école pour les mœurs, que la poésie, qui nous place ainsi au nombre des Dieux l’amour, auteur de tant d’extravagances, et de crimes ! Cela regarde surtout la comédie, qui viendrait absolument nulle, si ces extravagances crimes n’avaient point d’approbateurs. Et la tragédie, comment fait-elle parler le chef des Argonautes ?

Quand, pour sauver mes jours, ton art a combattu,
Ton amour te guidait, et non pas la vertu,

dit-il à Médée. Quel amour que celui de cette femme ! Qu’il a causé de funestes incendies ! Elle i bien pourtant, dans un autre de nos poètes, dire a son propre père, en lui parlant de Jason :

Pour sauver un époux, que n’osai-je point faire ?
J’immolai tout à ma fureur.
L’amour me le donnait : l’amour est dans un cœur
Plus lort que tous les droits d’un père.

XXXIII. Mais laissons les poëtes s’égayer : ils n’ont pas épargné Jupiter lui-même dans leurs fables, qui sont pleines de ses infâmes passions. Venons aux philosophes, aux maîtres de la vertu. Ils nient que l’amour ait la jouissance pour objet : en quoi Epicure n’est pas de leur ais ; et je crois qu’Épicure a raison. Car enfin, qu’est-ce que cet amour, qu’ils veulent confondre avec l’amitié ?

Pourquoi ne s’attache-t-il, ni a un jeune homme laid, ni à un beau vieillard ? Je m’imagine que ce goût a pris naissance dans les gymnases des Grecs, où il est toléré. Aussi notre Ennios dit-il très-bien, que la nudité est un commencement de prostitution. Quand même ces sortes d’attachements n’auraient rien de grossier (ce que je ne crois pas impossible), du moins est-il certain qu’ils prennent sur la tranquillité du cœur : et d’autant plus, qu’ils se ; réduisent à de purs sentiments. Mais rarement s’y réduisent-ils. Car, pour ne point parler ici de l’amour des femmes, qui est bien plus autorisé de la nature, ne voit-on pas aisément ce que les poètes veulent dire par l’enlèvement de Ganymède ? Y a-t-il rien de plus clair que le langage de Laïus dans Euripide ?

Avec quelle licence de très-savants hommes et de grands poètes n’ont-ils pas chanté leurs galanteries ? Alcée, ce fameux guerrier de Mitylène, que n’a-t-il pas écrit de ces inclinations a la Grecque ? Anacréon respire-t-il autre chose que l’amour ? On voit la passion encore poussée bien plus loin dans les poésies d’Ibyeus.

XXXIV. Or les amours de ces gens-là ne se bornaient pas à de purs sentiments. Parlerai-je de nous autres philosophes, qui avons nous-mêmes autorisé l’amour ? et cela, d’après notre Platon, à qui là-dessus Dicéarque fait des reproches que je trouve bien fondés. Il n’y a pas jusqu’aux Stoïciens, qui n’avouent que le sage peut aimer ; ils veulent qu’on entende simplement par amour, l’envie d’obtenir l’amitié d’une personne qui nous attire par sa beauté. Pour moi, puisqu’il ne s’agit ici que de ce qui peut troubler l’âme, supposé qu’il y ait dans le monde un amour qui ne donne point de souci, point d’inquiétude, et qui ne cause ni désirs, ni soupirs, je ne le blâmerai pas. Mais l’amour, tel que nous le voyons, qui est la folie même, ou approche fort de la folie, comment ne pas le blâmer ? Par exemple, dans la Leucadienne, un des personnages dit :