Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/538

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champs se fit sans eux, soit les semailles, soit la. récolte, soit la rentrée des grains ou des fruits. Il n’y a là sans doute rien de bien étonnant ; on n’est jamais assez vieux pour ne pas espérer vivre encore une année ; mais les vieillards dont je vous parle donnent leurs soins à des travaux dont ils savent bien que le fruit ne sera pas pour eux. « Il sème des arbres dont jouira le siècle à venir, » comme dit Statius dans les Synéphèbes. Le laboureur, si vieux qu’il soit, à qui l’on demandera : Pour qui semez-vous donc ? n’hésitera point à répondre : Pour les Dieux immortels, qui n’ont pas voulu seulement que je reçusse ces biens de mes aïeux, mais encore que je les transmisse à mes descendants.

VIII. Le mot de Cécilius sur le vieillard qui songe au siècle à venir, est beaucoup plus juste que ces autres vers du même poète : « Par Jupiter, ô vieillesse, quand bien même tu n’entraînerais pas d’autres désagréments à ta suite, c’en serait un assez grand dans une vie qui se prolonge, que de voir mille événements contraires à ses vœux. « Mais ne peut-il pas y en avoir mille conformes à nos désirs ? et la jeunesse voit-elle tout succéder à sa guise ? Je n’approuve pas non plus Cécilius quand il dit : « Ce que je trouve de plus déplorable dans la vieillesse, c’est de sentir qu’à cet âge on est odieux aux jeunes gens. » Il fallait mettre agréable, au lieu d’odieux. De même que de sages vieillards chérissent les jeunes gens généreusement nés, et trouvent de grandes douceurs dans leur affection et leurs hommages ; à leur tour, les jeunes gens goûtent avec empressement les préceptes de la vieillesse, qui les guide dans le chemin de la vertu. Je ne crois pas vous être moins agréable que vous ne me l’êtes. Vous voyez donc que la vieillesse n’est point languissante et imbécile, mais qu’elle est ouvrière, agissant et entreprenant toujours ; ce qu’on a fait à la fleur de la vie, on le fait dans son vieil âge. Et mieux encore, le vieillard ne s’instruit-il pas ? Nous voyons Solon se vanter, dans ses vers, de vieillir en apprenant tous les jours quelque chose ; ainsi ai-je fait, moi qui tout dernièrement ai appris les lettres grecques ; et certes je m’y suis appliqué avec tout le zèle d’un homme qui étancherait une soif ardente, avide de connaître tous ces enseignements que je vous cite maintenant comme exemples. Lorsque j’appris que Socrate s’exerçait à jouer de la lyre, j’aurais en vérité voulu l’imiter, et avec lui tous les anciens ; au moins n’ai-je rien négligé pour m’instruire dans leurs écrits.

IX. Pour en venir au second chef d’accusation contre la vieillesse, je ne regrette nullement les forces de mon jeune âge, non plus qu’alors je n’ambitionnais les forces d’un éléphant ou d’un taureau. Il faut user de ce que l’on a, et en tout agir selon ses forces. Où trouver rien de plus méprisable que ce cri de Milon de Crotone, qui, voyant dans sa vieillesse des athlètes s’exercer au milieu de la carrière, jette un regard sur ses bras et dit tout en, pleurs : « Ah ! ils sont déjà morts ? » Ce ne sont pas eux, c’est toi, bateleur, qui es mort ; car ta célébrité ne vient pas de toi, mais de tes poignets et de tes reins. Un tel langage n’était pas celui de S. Aelius, ni, dans des temps plus anciens, de Tib. Coruncanlus, ni tout récemment de P. Crassus, de ces savants juris—