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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/539

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consultes qui nous initiaient au droit, et dont l’habile sagesse brilla jusqu’à leur dernier jour. L’orateur, Je le crois bien, doit pâlir dans sa vieillesse ; car, pour parler en public, il faut non-seulement de l’esprit, mais encore des poumons et de la vigueur. Quelquefois cependant la voix garde, je ne sais comment, tout son éclat dans la vieillesse ; la mienne ne l’a nullement perdu, et vous connaissez mon âge ; mais un ton calme et doux est bienséant aux vieillards, et leur éloquence, tout empreinte de modération et de suavité, s’ouvre facilement les esprits. S’il ne vous est plus permis de vous faire entendre d’une assemblée entière, vous pouvez du moins instruire Scipion et Lélius. Quoi de plus touchant qu’un vieillard entouré déjeunes et fervents élèves ? N’accorderons-nous pas au moins à la vieillesse les forces suffisantes pour enseigner, instruire, former au bien la jeunesse ? et connaissez-vous au monde quelque office supérieur à celui-là ? Cn. et P. Scipion, et vos deux aïeux, L. Émilius et P. l’Africain, me semblaient trouver un véritable bonheur dans l’empressement des jeunes patriciens auprès d’eux. Quelle que soit la faiblesse et la langueur d’un homme qui donne des leçons de sagesse et de vertu, je le tiendrai toujours pour fortuné. Cette langueur elle-même est bien plus souvent l’œuvre de la jeunesse que de la vieillesse ; une jeunesse intempérante et corrompue livre au vieil âge un corps énervé. Nous lisons dans Xénophon un discours où Cyrus, mourant à un âge tout à fait avancé, déclare que jamais il n’a senti qu’il eût moins de vigueur dans sa vieillesse que dans sa jeunesse. Je me souviens d’avoir connu tout enfant L. Métellus, qui, nommé grand pontife quatre ans après son deuxième consulat, fut pendant vingt-deux ans à la tête du sacré collège, et de lui avoir vu dans les derniers jours assez de forces pour qu’il ne regrettât point son jeune temps. Je pourrais parler de moi-même, mais à quoi bon ? quoiqu’il me soit bien permis, je pense, d’user de ce privilège de mon âge.

X. Vous voyez comme, dans Homère, Nestor fait souvent l’éloge de ses propres vertus. Il avait déjà vécu plus de deux âges d’homme, et ne craignait point, en se donnant de justes éloges, de passer pour un arrogant ou un bavard. En effet, comme le dit Homère, « de ses lèvres coulaient des paroles plus douces que le miel. » Pour cette suavité les forces du corps ne lui eussent été d’aucune aide, et cependant le chef des Grecs ne souhaite pas d’avoir dix compagnons comme Ajax, mais bien comme Nestor ; il ne doute pas que, s’il les avait, Troie ne périt bientôt. Mais je reviens à moi : j’ai quatre-vingt-quatre ans ; je voudrais pouvoir faire de mes forces le même éloge que Cyrus des siennes ; mais s’il est vrai que j’avais plus de vigueur, soldat ou questeur en Afrique, consul en Espagne, ou quatre ans après tribun militaire au combat des Thermopyles, sous le consulat d’A. Glabrion, cependant, comme vous le voyez, la vieillesse ne m’a pas complètement énervé ni abattu ; je ne fais défaut ni au sénat, ni au Forum, ni à mes amis, ni à mes clients, ni à mes hôtes. Je n’ai jamais donné les mains à ce vieux et célèbre proverbe qui nous en* gage à vivre de bonne heure en vieillards, si nous voulons être vieux longtemps. Pour moi, j’aimerais mieux être vieux moins longtemps que de l’être avant le temps. Aussi tous ceux qui