Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/546

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vous l’ai dit, à la cultiver, à la suivre dans son travail ; j’aime à disposer les longues files de supports, à lier les sarments, à recueillir et propager les boutures, à émonder les ceps trop chargés, à retrancher ou replanter les rameaux. Que dirai-je encore des irrigations habilement pratiquées, des seconds labours qui remuent si profondément les terres et les rendent plus fertiles ? Parlerai-je de l’utilité des engrais ? Mais j’ai dit tout ce qu’il en fallait dans mes livres sur l’agriculture. Le docte Hésiode ne leur a pas consacré une seule ligne dans son poème sur la culture des champs ; mais Homère, qui vivait, à ce que je pense, plusieurs siècles avant lui, nous représente Laërte, pour adoucir le regret de l’absence de son fils, cultivant lui-même et fumant ses terres. Et ce ne sont pas seulement les moissons, les prés, les vignes, les arbustes qui font l’agrément des campagnes, il faut y joindre les jardins, les vergers, les troupeaux, les abeilles, et l’infinie variété des fleurs. Nous n’avons pas d’ailleurs le seul agrément des plantations, mais encore la ressource des greffes, ce chef-d’œuvre de l’agriculture.

XVI. Je pourrais vous détailler sans fin toutes les jouissances de la vie des champs ; mais je m aperçois que déjà j’ai été trop long. Vous me le pardonnerez, car je me suis laissé entraîner par mon goût pour les travaux de la campagne ; d’ailleurs la vieillesse aime è parler, elle en a le renom, et je ne voudrais pas faire croire qu’on la calomnie en tout. M’. Curius, après avoir triomphé des Samnites, des Sabins, de Pyrrhus, passa le reste de ses jours à cultiver les champs. Sa maison de la Sabine n’est pas loin de chez moi ; je la vois souvent, et je ne puis me lasser d’admirer le désintéressement de ce grand homme et les mœurs de son siècle. Curius étant assis près de son foyer, les Samnites lui vinrent offrir de l’or à pleines mains ; il les renvoya en leur disant : « Ce qui me paraît digne d’envie ce n’est pas d’avoir de l’or, mais de commander à ceux qui en ont. » Avec une si grande âme, la vieillesse pouvait-elle être un fardeau ? Mais je reviens aux agriculteurs, pour ne pas aller prendre mes exemples trop loin de moi. Les sénateurs, c’est à-dire les vieillards, vivaient alors à la campagne. L. Quinctius Cincinnatus conduisait la charrue, quand on lui annonça que le peuple l’avait nommé dictateur ; et, c’est par l’ordre de ce dictateur que C Servilius Ahala, maître de la cavalerie, surprit et mit à mort Sp. Mélius, qui aspirait à la royauté. C’est de leurs campagnes que l’on appelait au sénat Curius et les autres sénateurs ; ce qui explique le nom de voyageurs que l’on donnait à ceux qui allaient les convoquer. Croyez-vous donc que ces anciens Romains qui s’amusaient à cultiver leurs champs aient eu une vieillesse misérable ? Pour moi, je ne pourrais en imaginer une plus heureuse, non-seulement parce que l’on remplit un devoir en vaquant aux travaux de l’agriculture, qui est pour tout le genre humain une source de bienfaits, mais parce que, grâce à ces labeurs, on goûte des jouissances nombreuses, et l’on se trouve dans l’abondance de toutes les choses nécessaires à la vie des hommes et au culte des Dieux : à ce compte, puisque la volupté a des partisans déclarés, je ne demande pas mieux que de faire ma paix avec elle. Un maître de maison vigilant et économe a toujours ses celliers remplis de vin et d’huile, ses offices bien garnis, une abondance de toutes sortes^de provisions dans sa campagne ; il a des porcs, des chevreaux, des agneaux, des