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TRAITÉ

DE L’AMITIÉ.

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PRÉFACE.

Ce dialogue fut composé quelque temps après celui de la Vieillesse, et probablement encore dans l’année 709. Cicéron le dédia à son ami Atticus, comme il lui avait dédié le précédent. Ici le principal interlocuteur est Lélius, l’ami de Scipion, qui devait en grande partie sa célébrité à celle amitié, et à qui il convenait si bien de parler du sentiment qui l’avait illustré. Cicéron disait à Atticus, au commencement de cet écrit : « Dans mon traité de la Vieillesse, j’avais donné la parole au vieux Caton, convaincu que personne ne pouvait la prendre sur ce sujet avec plus d’autorité……… De même, ayant entendu nos pères dire merveilles de l’amitié de C. Lelius et de Scipion, j’ai pensé qu’il fallait mettre dans la bouche même de Lelius ce que Scévola avait entendu de lui, et nous avait rapporté sur l’amitié. Alors Atticus, c’était un vieillard qui entretenait un vieillard de la vieillesse ; aujourd’hui, c’est le meilleur des amis qui parle à son ami de l’amitié. Alors j’avais pour interprète Caton, le plus sage des hommes de son siècle ; aujourd’hui, c’est Lélius le sage, comme on le nomme, c’est Lelius illustré par l’amitié, que vous allez entendre. »

Les auditeurs de Lélius, dans la scène imaginée par Cicéron, sont ses deux gendres, C. Fannius et R. Mucius Scevola, qui étaient venus consoler leur beau-père de la mort de Scipion. Des regrets donnés à l’illustre mort, on en vient bientôt à son éloge ; et cet éloge dans la bouche de Lélius conduit naturellement à celui de l’amitié. Fannius et Mucius pressent l’ami de Scipion de leur dire comment il entend l’amitié, lui qui l’a si bien pratiquée. Lelius, après s’être défendu, se rend à leur désir, et leur explique quelle idée on doit se former de l’amitié, quels en sont les devoirs, combien elle répand de charme dans la vie, élève l’âme et favorise le développement de la vertu.

On ne trouvera pas dans cet ouvrage la régularité qui distingue le traité de la Vieillesse ; peut-être le sujet ne la comportait-il pas. Plusieurs questions importantes y sont débattues, et l’on ne sera pas étonné de voir Cicéron adopter toujours la solution la plus noble, regarder l’amitié comme un lien sublime, et ne souffrir qu’aucun intérêt, aucun sophisme la dégrade.

Toutes les pensées de Cicéron sur l’amitié reviennent à ces deux maximes fondamentales : Que l’homme ne recherche pas un ami par égoïsme, mais pour satisfaire un des besoins les plus élevés de son âme, et qui n’a rien à démêler avec nos intérêts vulgaires ; et en second lieu, qu’il n’y point de véritable amitié sans vertu, la vertu et l’amitié se fortifiant l’une l’autre, l’homme de bien méritant seul d’être aimé, étant seul digne d’affection et seul capable d’aimer.

Voici comment il exprime la première pensée : « L’amitié a une cause plus profonde, plus noble ; plus intime à la nature humaine. C’est de l’amour que vient le nom de l’amitié, et l’amour est l’artisan par excellence de toute union des cœurs. On peut servir ses intérêts en se rapprochant quand les circonstances le demandent, et en portant le masque de l’amitié. Mais dans l’amitié elle-même rien de faux, aucun masque ; tout ce qui est en elle est sincère et part du cœur. C’est pourquoi elle me paraît avoir son principe plutôt dans la nature que dans notre faiblesse, plutôt dans une impulsion de notre âme douée d’une sorte de sens pour aimer, que dans un calcul sur les avantages qu’elle peut rapporter……… Quand nous exerçons la bienfaisance, ce n’est pas pour en recevoir le prix, car un bienfaiteur n’est point un usurier ; mais parce que la nature nous pousse d’elle-même à faire du bien. Par de semblables raisons, nous voulons pratiquer non point en vue de nos intérêts, mais tout le bénéfice de l’amitié est dans l’amitié elle-même. »

La seconde maxime dont nous avons parlé est exprimée avec plus de force encore : « Commençons par être homme de bien, et cherchons ensuite qui nous ressemble. Ce n’est qu’entre des gens vertueux que peut s’établir la constance en amitié……… Uni par une tendresse mutuelle, ils commanderont aux passions, dont les autres hommes sont les esclaves ; jaloux d’observer religieusement la justice, ils seront toujours prêts à tout entreprendre l’un pour l’autre, et ne se demanderont rien qui ne soit honnête et bienséant ; enfin ils se témoigneront non-seulement de l’affection et du dévouement, mais encore du respect. Ôter le respect de l’amitié, c’est lui enlever son plus bel ornement……… La nature nous a donné l’amitié pour seconder la vertu, et pour être complice du vice ; elle nous l’a donnée pour que notre vertu, qui ne peut dans l’isolement s’élever aux grandes choses, y parvînt avec l’appui et le concours d’une noble compagne…… C’est dans une telle société que l’on trouve ces trésors dont les hommes font tant d’estime, l’honnêteté, la gloire, la tranquillité et la joie de l’âme, tous ces biens dont la possession fait le bonheur de la vie et hors desquels il n’y a plus que misère. Si nous voulons parvenir à cette félicité suprême, il faut