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TUSCULANES, LIV. V.

il y a quelque autre bien. Elle serait assaillie par un foule de maux, si ce sont des maux que la pauvreté, l’abjection, l’humiliation, l’abandon des amis, la perte des proches, les vives douleurs du corps, le dérangement total de la santé, la faiblesse du tempérament, la privation de la vue, la ruine de la patrie, l’exil, et enfin la servitude. Tous ces maux-là, et beaucoup d’autres encore, peuvent accabler le sage ; car ils sont l’effet du hasard, dont le sage n’est pas exempt. Quand on est donc persuadé que ce sont là de vrais maux, peut-on répondre au sage d’une félicité constante, puisque ces prétendus maux peuvent l’assiéger tous à la fois ? J’aurais peine à me ranger, cela étant, à l’avis de mon ami Brutus ; quoique ce soit celui de nos maîtres communs, et de ces anciens philosophes, Aristote, Speusippe, Xénocrate et Polémon, qui, après avoir mis au rang des vrais maux les accidents dont je viens de parler, n’ont pas laissé de soutenir que le sage est toujours heureux. S’ils ambitionnent ce beau nom, justement dû à un Pythagore, à un Socrate, à un Platon, qu’ils apprennent plutôt d’eux à mépriser tout ce dont ils sont éblouis, vigueur, santé, beauté, opulence, dignités. Qu’ils comptent le contraire pour rien. Alors ils pourront publier à haute voix, qu’ils ne craignent ni les traverses de la fortune, ni les jugements de la multitude, ni les douleurs, ni la pauvreté ; et qu’ils ont en eux-mêmes de quoi se rendre heureux, en retranchant du nombre des biens tout ce qui est hors de leur pouvoir. Je ne permettrai point à quelqu’un qui pense sur les biens et sur les maux avec le vulgaire, de tenir sur la vertu le langage d’une âme grande et sublime. Épicure, c’est tout dire, voulant partager la gloire de ceux qui tiennent un si noble langage, prononce hardiment que le sage lui paraît toujours heureux. Parlerait-il de la sorte, s’il s’entendait lui-même ? Car qu’y a-t-il de moins compatible, que de regarder la douleur comme le plus grand de nos maux, ou plutôt comme le seul, et de croire que le sage, au milieu des plus rudes tourments, pourra s’écrier : Que cela est doux ! Jugeons donc des philosophes, non par les termes qu’ils emploient, mais par la suite et par la cohérence de leurs principes.

XI. L’a. Je me rangea votre avis. Mais vous-même, ne seriez-vous pas tombé dans quelque contradiction ? C. Voyons comment. L’a. Je lisais dernièrement votre quatrième livre du Bien et du Mal, où je remarquai qu’en disputant contre Caton, vous lui souteniez, et avec raison, selon moi, qu’entre Zénon et les Péripatéticiens, toute la différence consiste dans quelques termes nouveaux. Or, si cela est, pourquoi les Péripatéticiens ne pourront-ils dans leur système, aussi bien que Zénon dans le sien, dire que la vertu suffit pour nous rendre heureux ? Il faut, je crois, avoir égard aux choses plutôt qu’aux termes. C. A ce que je vois, vous prétendez me battre avec mes propres armes, et me prendre par mes paroles, ou par mes écrits. Usez-en de la sorte avec ceux qui épousent des systèmes : mais je suis d’une secte ou l’on vit au jour la journée. Tout ce qui vient à nous paraître le plus probable, nous l’embrassons dans le moment : et c’est ce qui fait que nous sommes les seuls indépendants. Quoi qu’il en soit, comme nous disions tout à l’heure qu’il faut toujours voir si l’on raisonne