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TUSCULANES, LIV. V.

portable d’une scie qu’on aiguise, ou d’un pourceau qu’on égorge. Quand il veut dormir, les mugissements de la mer ne le réveillent pas. Que ceux qui aiment la musique, considèrent qu’avant quelle fut inventée, il y avait des gens sages qui vivaient heureux : et que d’ailleurs la théorie du chant, qu’on trouve dans les livres, fait encore plus de plaisir que la pratique. Au reste, comme nous consolions tantôt l’aveugle par le plaisir de l’ouïe, nous pouvons à présent consoler le sourd par le plaisir de la vue. Un homme qui sait s’entretenir avec lui-même, se passe aisément de conversation. Rassemblons tous ces prétendus maux dans une seule personne. Qu’elle soit et sourde et aveugle. Qu’elle souffre les plus vives douleurs. Premièrement, une mort prompte l’en délivrera. Mais si elles sont en même temps et si longues et si violentes, qu’on ne les trouve plus supportables, pourquoi tant souffrir ? Une mort volontaire nous offre un port, qui nous mettra pour toujours à l’abri de tous maux. Théodore, quand Lysimaque le menaça de lui ôter la vie, « le grand exploit, » dit-il à ce prince, « quand vous ferez ce qu’une cantharide peut faire aussi aisément que vous ! » Et quand Persée supplia instamment Paul Émile de ne point le mener en triomphe, « C’est, » répondit le consul, « ce que vous pouvez obtenir de vous-même. » Dans notre première conférence nous avons parlé de la mort bien au long : nous en avons encore parlé dans la seconde, à propos de la douleur : ceux qui se rappelleront ce que nous en avons dit, seront certainement plus portés à la désirer qu’à la craindre.

XLI. Du moins je voudrais qu’à cet égard on suivit la loi reçue par les Grecs dans leurs festins : « Que tout convive boive, ou se retire. » Loi sagement établie ; car il est juste que tous participent aux plaisirs de la table, ou que le sobre, la quitte, de peur qu’il n’éprouve la violence des têtes échauffées par le vin : et de même, si vous ne vous sentez point assez fort contre la fortune, dérobez-vous a ses atteintes, en renonçant à vivre. Tel est le langage d’Épicure, suivi par Hiéronyme mot pour mot. Si des philosophes qui tiennent que la vertu n’a d’elle-même nul pouvoir, et que tout ce que nous appelons honnête et louable, n’est qu’une chimère, décorée d’un vain nom : si ces philosophes, dis-je, ne laissent pas de croire que le sage est toujours heureux, quel parti jugez-vous que doivent prendre les sectateurs de Socrate et de Platon ? Les uns élèvent tellement les biens de l’âme, que ceux du corps et de la fortune sont presque à compter pour rien. Les autres ne mettent pas même ceux-ci au rang des biens, et ne connaissent que ceux de l’âme. Carnéade, qui s’érigeait de son chef en arbitre des Stoïciens et des Péripatéticiens, terminait ainsi leur querelle. Puisque les uns, disait-il, reconnaissent pour des avantages, ce que les autres nomment des biens ; et qu’à cela près ils n’attachent que la même idée aux richesses, à la santé, et à tout le reste, leur différend ne roule que sur des mots, en sorte qu’ils sont réellement d’accord. Qu’ici donc les partisans des autres sectes disputent le terrain, comme ils pourront. Après tout ils disent que le sage peut être toujours heureux, et je suis charmé qu’ils tiennent au moins un langage qui fait honneur à des philosophes. Mais, puisque nous nous séparons demain, tâchons de ne point oublier ce qui a fait depuis cinq jours le sujet de