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ENTRETIENS
SUR
LA NATURE DES DIEUX.


EXTRAIT
DE LA PRÉFACE DE D’OLIVET.

Voici, de tous les anciens monuments, le plus curieux pour de sages critiques, qui se plaisent à étudier l’histoire des opinions humaines, dans la vue d’éviter les piéges où l’ignorance et l’orgueil sont également capables d’entraîner la raison.

Trois philosophes de sectes opposées, un Épicurien, un Stoïcien, et un Académicien, disputent sur la nature des Dieux. Quant aux deux premiers, ils ont chacun leurs dogmes, et se croient, à l’exclusion l’un de l’autre, les possesseurs de la vérité : mais l’Académicien, qui ne veut se rendre qu’à l’évidence, les attaque tour à tour, leur montre l’illusion de leurs préjugés, et ne songe à se garantir lui-même d’erreur, que par ne rien affirmer de positif.

On voit déjà qu’il ne faut point chercher ici une parfaite connaissance du vrai Dieu. Les savants que Cicéron fait parler n’avaient secoué l’idolâtrie grossière de la Grèce et de Rome, que pour la remplacer par les vaines subtilités de leurs écoles. Je ne sais même si ce ne serait pas donner une idée précise de cet ouvrage, que de l’appeler le Roman théologique des anciens.

Il y entre une partie de leur physique, mais dépouillée de ce qu’elle pouvait avoir, ou de barbare dans les termes, ou de sec dans le raisonnement. Tout fleurit entre les mains de Cicéron. Il fait habiter les grâces dans les rides mêmes de la philosophie. Orateur dans tous ses écrits, son enthousiasme ne le quitte point, mais leurs divers genres le règlent. Il donne à ses discours une âme qui se communique à ses lecteurs. On croit être de son temps, le voir, l’écouter. Que dis-je ! Ce n’est plus à lui que nous pensons dans ces dialogues : on a l’esprit occupé uniquement des personnages qu’il met sur la scène. Tantôt un épicurien, qui attaque d’un air fanfaron toutes les autres sectes, pour nous débiter après cela du même air les plus grandes folies ; tantôt un Stoïcien grave, savant, éloquent, qui a un zèle de religion pour ses chimères ; tantôt un Académicien, qui les met hors de combat tous les deux, et qui joint à la force de ses réponses tous les égards de la politesse, tout le sel de l’enjouement. On est présent à leurs disputes, on suit leurs caractères, on rit, on admire, on est tenté de battre des mains ; et, pour tout dire enfin, ce n’est pas une lecture, c’est un spectacle.


LIVRE PREMIER.

I. Vous n’ignorez pas, Brutus, que parmi une infinité de choses, sur lesquelles la philosophie ne nous a rien dit encore d’assez clair, il n’y a rien de si difficile, et de si obscur, que ce qui regarde la nature des Dieux : rien pourtant qui servît plus à nous donner une idée de l’âme, ni qui fût plus nécessaire pour nous régler en matière de religion. La diversité, et la contrariété même, qui se remarquent ici dans les opinions des plus savants hommes, font bien voir que la philosophie doit porter sur des principes évidemment connus ; et que par conséquent les Académiciens, où ils n’ont trouvé que de l’incertitude, ont eu raison de suspendre leur jugement. Car, s’il était permis de se décider témérairement, à quoi cela ne conduirait-il pas ? Et quelle témérité plus grande, plus opposée à la constance et à la gravité du sage, que de se livrer à l’erreur, ou de soutenir comme incontestable ce qu’on n’aura ni bien examiné, ni bien compris ? Vous en avez un exemple dans la question présente. Car le sentiment commun, qui a beaucoup de vraisemblance,