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CICÉRON.

et que la nature nous inspire à tous, reconnaît l’existence des Dieux. Protagore l’a regardée comme douteuse. Diagore de Mélos et Théodore de Cyrène l’ont niée sans restriction. Quant à ceux qui l’ont reconnue, ils sont partagés en tant d’opinions, toutes différentes, qu’elles seraient difficiles à compter. Ils raisonnent beaucoup, et sur la figure des Dieux, et sur leur habitation, et sur leur manière de vivre : disputant sur tous ces points avec chaleur, sans pouvoir s’entendre. Mais le point essentiel, c’est, s’il est vrai que les Dieux ne fassent rien, qu’ils ne se mêlent de rien, qu’ils ne gouvernent point l’univers ; ou s’il est vrai qu’ils en soient les auteurs, et qu’ils doivent éternellement le gouverner ? On s’accorde là-dessus encore moins que sur le reste. Cependant, si cela n’est décidé, nous ne pouvons que vivre dans une erreur grossière, et dans l’ignorance des choses les plus importantes.

II. Quelques philosophes, tant anciens que modernes, croient effectivement que les Dieux ne se mettent point en peine de ce qui nous regarde. Sur ce principe, que deviendront la piété, la sainteté, la religion ? Ce sont de vrais devoirs qu’il faut exactement remplir, supposé que les Dieux y fassent attention, et que nous tenions d’eux quelque faveur. Mais supposé aussi qu’ils n’aient ni le pouvoir, ni la volonté de nous secourir ; que toutes nos actions leur soient indifférentes, et que nous n’ayons rien à espérer, rien à craindre d’eux ; pourquoi leur rendre un culte et des honneurs ? pourquoi leur adresser des prières ? Il en est de la piété comme de toutes les autres vertus, elle ne consiste pas en de vains dehors. Sans elle, plus de sainteté, plus de religion ; et dès lors quel dérangement, quel trouble parmi nous ? Je doute si d’éteindre la piété envers les Dieux, ce ne serait pas anéantir la bonne foi, la société civile, et la principale des vertus, qui est la justice. D’autres philosophes, gens de mérite et d’un grand nom, prétendent, au contraire, que non-seulement les Dieux gouvernent l’univers en général, mais qu’en particulier notre conservation et nos besoins sont l’objet de leur providence : car ils croient que les grains et les autres productions de la terre, ainsi que les saisons et les mutations de l’air qui font pousser et mûrir ce que la terre produit, se doivent à la bienveillance que les Dieux ont pour le genre humain. Vous diriez même que les Dieux ont créé tout cela exprès pour l’utilité de l’homme, si l’on s’en rapporte au détail où entrent ces philosophes, et que je toucherai dans la suite de cet ouvrage. La force avec laquelle Carnéade réfuta leur doctrine a excité, dans quiconque est capable de réflexion, l’envie de rechercher la vérité. Point de question si fort controversée que celle-ci, et parmi les savants, et parmi les ignorants. De là tant d’opinions qui se combattent les unes les autres. Il se pourrait très-bien qu’elles fussent toutes fausses : mais il n’est pas possible qu’il y en ait plus d’une de vraie.

III. En disputant sur un pareil sujet, nous avons de quoi satisfaire des critiques bien intentionnés, et de quoi répondre à des censeurs envieux : tellement que les uns aient à se repentir de nous avoir attaqués, et que les autres