Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/114

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et aux péripatéticiens de mettre le souverain bien à vivre selon la nature, c’est-à-dire à suivre à la fois la nature et la vertu. Calliphon y ajoute la volupté ; Diodore, l’absence de la douleur ; et c’est à toutes ces choses-là conjointement que les uns et les autres ont attaché le souverain bien. Aristippe ne l’a attaché qu’à la volupté ; les stoïciens veulent qu’il consiste à se conformer à la nature, ce qu’ils disent n’appartenir qu’à la vertu et à l’honnêteté, et qu’ils interprètent vivre avec une telle intelligence des choses qui arrivent naturellement, qu’on puisse choisir celles qui sont conformes à la nature, et rejeter celles qui y sont contraires.

Ainsi il y a trois définitions du souverain bien qui en excluent l’honnêteté : celle d’Aristippe ou d’Épicure, celle d’Hiéronyme, et celle de Carnéade. Il y en a trois autres où l’on ajoute quelque chose à l’honnêteté : celles de Polémon, de Calliphon, de Diodore. Il y en a enfin une seule, celle de Zénon, qui n’admet que l’honnêteté ou la vertu[1] ; car depuis longtemps Pyrrhon[2],

  1. La définition de Zénon renfermait encore une autre idée, celle de la nature conçue comme le type suprême auquel nous devons conformer notre conduite. C’est cette idée d’une sorte de bien naturel antérieur à la volonté, qui, venant s’ajouter à l’idée du bien moral, a fait la faiblesse du système stoïcien.
  2. Pyrrhon, d’Élis (Péloponèse), le chef de l’école sceptique, florissait vers 340 avant J.-C. On sait peu de chose de sa vie. Il suivit Alexandre le Grand dans l’expédition d’Asie ; à son retour, il reçut de ses concitoyens la dignité de grand-prêtre. Un jour, dit-on, comme il voyageait en pleine mer, une tempête survint ; au milieu de l’alarme universelle, Pyrrhon, montrant aux passagers un cochon qui mangeait paisiblement : « Voilà, dit-il, quelle doit être la sécurité du sage. » (Diog., l. IX.) — Le système de Pyrrhon, que rédigea son disciple Timon de Phliunte, est un scepticisme absolu : reprenant les arguments des sophistes et de Démocrite, il s’efforce de montrer que nous ne pouvons rien connaître de vrai, et que les contraires peuvent s’affirmer également sur toutes choses, en particulier sur la morale. La raison humaine n’a qu’un but, le bonheur, et pour parvenir à ce bonheur, il faut faire attention à trois choses : d’abord à la nature des objets, ensuite à leurs rapports avec nous, enfin aux conséquences (sensibles) de ces rapports. (Arist. ap. Eus., Præp. ev., XIV, 18.) Quant à une morale qui, loin d’être l’effet de ces rapports sensibles, en serait la règle, leur serait antérieure et supérieure, Pyrrhon la nie de toutes ses forces. « Il n’y a rien, disait-il, de beau ou de laid, de juste ou d’injuste ; et de même pour toutes choses : rien n’est enréalité, mais c’est selon la loi ou l’habitude que les hommes agissent