SA FIN DANS LE PLAISIR (suite).
L'INJUSTICE PUISSANTE ET CACHÉE.
Pour ne laisser rien à dire, figurez-vous qu'un méchant homme soit non-seulement adroit et habile, mais qu'il soit même aussi puissant que Crassus, qui n'usait du moins que de son bien ; ou, si vous voulez, aussi puissant que l'est aujourd'hui notre Pompée, à qui l'on a obligation de tout ce qu'il fait de juste, puisqu'il pourrait être injuste impunément. Figurez-vous de plus combien on peut faire de choses injustes qui ne soient point sujettes à être reprises.
Si votre ami, en mourant, vous prie de rendre sa succession à sa fille, mais qu'il n'en ait rien écrit, comme avait fait Q. Fadius, et qu'il n'en ait parlé à personne, que ferez-vous ? Pour vous, Torquatus, vous la rendriez ; Épicure même la rendrait peut-être aussi, comme fit un des plus savants et un des plus honnêtes hommes du monde, Sextus Péducéus, qui nous a laissé dans son fils une image de ses qualités et de ses vertus. C. Plotius, noble chevalier romain de la ville de Nursia, lui ayant laissé tout son bien, sans qu'on sût à quelle condition, il alla trouver aussitôt sa veuve, qui ne savait rien de l'intention de son mari, la lui exposa, et lui remit toute la succession entre les mains. Or, à vous, Torquatus, qui en eussiez très-assurément usé de même, je vous demande : Ne comprenez-vous pas qu'il faut que la nature ait une grande force, puisque, vous qui rapportez tout à votre propre commodité, ou, comme vous avez coutume de dire, à la volupté, vous feriez des choses où il est évident que la volupté aurait moins de part que le devoir, et où la droite nature l'emporterait sur une raison dépravée ?
Si vous saviez, dit Carnéade, qu'il y eût un serpent en quelque