vous expliquer plus clairement, vous auriez dit qu’il n’a rien fait que pour la volupté ; et comment croyez-vous qu’il l’eût pris ?
Soit ; que Torquatus, si vous le voulez, ait songé à son intérêt (car, en parlant d’un si grand homme, j’aime mieux me servir du mot d’intérêt que de celui de volupté). Mais son collègue P. Décius[1], celui qui porta le premier le consulat dans sa famille, avait-il aussi la volupté en vue lorsqu’il se dévoua, et qu’il poussa son cheval à toute bride au milieu des troupes des Latins ? Quand et où aurait-il pu satisfaire sa volupté[1], puisqu’il courait à une mort certaine, et qu’il y courait avec plus d’ardeur qu’Epicure n’en demande pour la recherche de la volupté ? Que si cette action n’avait pas été véritablement louable, ni son fils, dans son quatrième consulat, ne l’aurait imitée ; ni son petit-fils, qui, étant consul, commanda l’armée contre Pyrrhus, et mourut généreusement dans le combat, n’aurait été la troisième victime de sa race qui se serait sacrifiée au salut de la république.
J’abrège ces exemples. Les Grecs m’en fournissent peu : Léonidas, Epaminondas, et trois ou quatre autres[2] ; mais si je voulais me mettre à recueillir ceux des Romains, oui ; la volupté elle-même viendrait se livrer à la vertu pour se faire enchaîner. Le temps nous manque ; et d’ailleurs, comme A. Varius[3], juge sévère et rigide, lorsqu’on avait produit des témoins dans une affaire et qu’on voulait en produire encore d’autres, disait à celui qui siégeait avec lui : Ou voilà assez de témoins, ou je ne sais pas ce qu’on entend par assez ; de même je crois vous avoir assez rapporté de témoignages illustres. Mais vous, Torquatus, vous qui êtes si digne de vos ancêtres[4], est-ce la volupté qui vous porta, fort jeune encore, à arracher le consulat à P. Sylla et à le faire donner à votre père[5] ?
- ↑ a et b On connait la mort de P. Décius Mus. Dans une guerre contre les Latins, l’oracle consulté avait répondu que l’armée dont le général se dévouerait aux dieux mânes remporterait la victoire. Décius se dévoua, et l’armée romaine enthousiasmée gagna le combat.
- ↑ Cicéron est injuste envers les Grecs.
- ↑ Personnage inconnu.
- ↑ Ce ne sont pas des témoignages qu’il faudrait dans cette discussion philosophique, ce sont des arguments.
- ↑ C’est sous le consulat de Torquatus qu’eut lieu la première conjuration de Catilina et de Pison. (V, Pro Sylla et In Pisonem)