Vous avez encore avancé que d'autres, parmi vous, disent que les gens sages s'obligent, par une espèce de traité, d'avoir les uns pour les autres les mêmes sentiments qu'ils ont pour eux-mêmes ; que cela se peut faire ; que même cela s'est fait souvent, et que rien ne peut contribuer davantage à la volupté. Mais, s'ils ont pu faire le traité de s'aimer réciproquement sans nul intérêt, que ne font-ils celui d'aimer de même, sans nul intérêt, la justice, la tempérance et toutes les autres vertus ? Au fond, si l'on ne contracte amitié que dans la vue de l'utilité qui peut en revenir, et si ce n'est l'amitié même qu'on cherche dans l'amitié, qui doute qu'à l'occasion on ne vienne à préférer ses biens, ses revenus, tous ses intérêts à ses amis ?
Rappelez encore ici, vous en êtes le maître, les belles choses qu'Épicure a dites à la louange de l'amitié : je ne cherche pas ce qu'il dit, mais ce qu'il peut dire d'après son système. “ On se fait des amis pour l'utilité ! ” Croyez-vous donc que Triarius puisse vous être plus utile que les greniers que vous avez à Pouzzoles ? Rassemblez tous vos lieux communs. “ Des amis nous protègent ! ” Mais ne trouvez-vous pas assez de protection en vous-même, dans les lois, et dans les liaisons et les habitudes que vous avez d'ailleurs ? Pour le mépris, vous n'avez pas à le craindre. Vous échapperez facilement à la haine et à l'envie de vos concitoyens : Épicure donne là-dessus des préceptes. Mais vous qui faites un si noble usage de vos grands biens, vous n'aurez pas besoin, pour votre défense, de cette amitié de Pylade ; la bienveillance publique vous sert de rempart. “ Mais ne faut-il pas, direz-vous, quelque confident de toutes nos idées gaies ou tristes, en un mot de nos secrets ? ” Confiez-les à vous-même, ou, si vous voulez un confident, un ami ordinaire peut vous suffire. Admettons cependant que tout cela puisse servir : quelle comparaison à faire, pour l'utilité, avec une si grande fortune ? Ainsi vous voyez que,