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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/247

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Comme les médecins, pour engager les jeunes enfants à boire l’absinthe amère, dorent d’un miel pur les bords de la coupe, afin que leurs lèvres séduites par cette douceur trompeuse, avalent sans défiance le noir breuvage, heureux artifice qui rend à leurs jeunes membres la vigueur de la santé : ainsi le sujet que je traite étant trop sérieux pour ceux qui n’y ont pas réfléchi, et rebutant pour le commun des hommes, j’ai emprunté le langage des muses, j’ai corrigé l’amertume de la philosophie avec le miel de la poésie, espérant que, séduit par les charmes de l’harmonie, tu puiseras dans mon ouvrage une profonde connaissance de la nature !

X
INFINITÉ DE L’UNIVERS.

Je t’ai enseigné que les solides éléments de la matière se meuvent de toute éternité à l’abri de la destruction : examinons maintenant si la somme de ces éléments est infinie ou limitée, si le vide dont nous avons établi l’existence, ce lieu, cet espace, ce théâtre éternel de l’action des corps, est fini, ou si son immensité et sa profondeur n’ont point de bornes.

Le monde est infini ; car autrement il devrait avoir une extrémité. Mais un corps ne peut avoir d’extrémité s’il n’a hors de lui quelque chose qui le termine, de manière que l’œil voie clairement qu’il ne peut se porter plus loin sur ce corps. Or, comme on est forcé d’avouer qu’il n’y a rien au delà du monde, on ne peut non plus lui assigner d’extrémité, ni par conséquent lui prescrire de bornes : il n’importe donc en quel lieu du monde tu sois placé, puisque de tous côtés tu as un espace infini en tout sens à parcourir.

En second lieu, si l’espace est borné, et que quelqu’un placé à ses limites lance avec force une flèche rapide, penses-tu que le trait, après avoir fendu l’air, suivra sa direction, ou aimes-tu mieux qu’un obstacle extérieur lui ferme le passage et suspende son vol ? Il faut choisir dans cette alternative : or, quelque parti que tu prennes, tu es forcé d’ôter au grand tout les limites que tu oses lui assigner. Car, soit qu’un obstacle extérieur empêche le trait de parvenir au but, soit qu’il s’élance plus loin, il est évident que