O toi, l’ornement de la Grèce, qui le premier portas la lumière au milieu des ténèbres pour éclairer l’homme sur ses vrais intérêts, je suis tes pas, j’ose marcher sur tes traces, mais comme ton disciple et non pas comme ton rival. Vit-on jamais l’hirondelle défier le cygne, et le chevreau tremblant lutter à la course avec le coursier vigoureux ? O mon père ! ô génie créateur ! Quelles sages leçons tu donnes à tes enfants ! L’abeille ne cueille pas plus de miel sur les fleurs que nous ne puisons de vérités précieuses dans tes divins écrits, dignes de vivre à jamais.
A peine ta sagesse nous a-t-elle révélé que l’univers n’est point l’ouvrage des dieux, aussitôt les terreurs de la superstition s’évanouissent, les bornes da monde disparaissent : je vois l’univers se former au milieu du vide ; je vois la cour des dieux, dans ces tranquilles demeures qui ne sont jamais ébranlées par les vents ni troublées par les orages, que respectent les flocons de la neige condensés par le froid piquant, qu’entoure sans cesse un air pur, et où brille radieuse une lumière toujours égale. La nature leur prodigue tous ses soins : rien ne peut en aucun temps altérer la paix de leurs âmes ; ils ne voient point le noir séjour de l’Achéron, et la terre ne les empêche point de contempler sous leurs pieds les scènes diverses qui se passent dans le vide. Quand je médite sur ces grands objets, je me sens pénétré d’une volupté divine, j’éprouve un saint frémissement, en considérant par quel heureux effort tu as su déchirer le voile dont se couvrait la nature[1].
Il me reste maintenant à expliquer dans mes vers la nature de l’esprit et de l’âme, à chasser les fantômes de l’Achéron, ces chimères qui empoisonnent le bonheur dans sa
- ↑ Lucrèce, l. III, init. (trad. Lagrange, revue par M. Blanchet).