qui brise les liens de l’amitié, et qui foule aux pieds la nature elle-même. En effet, n’a-t-on pas vu souvent des hommes trahir leur patrie, leurs parents, pour éviter la demeure de l’Achéron ?
Comme les enfants s’effrayent de tout pendant la nuit et se forgent des fantômes, nous-mêmes, en plein jour, nous sommes les jouets de terreurs aussi frivoles. Pour bannir ces alarmes, pour dissiper ces ténèbres, il est besoin, non des rayons du soleil ni de la lumière du jour, mais de l’étude réfléchie de la nature.
D’abord je dis, ô Memmius ! que l’esprit humain, ce principe de nos actions, auquel nous donnons souvent le nom d’intelligence, est une partie de nos corps aussi réelle que les mains, les pieds et les yeux. En vain une foule de philosophes nous assurent que le sentiment n’a point dans l’homme de siége particulier, qu’il n’est qu’une habitude vitale du corps, nommée par les Grecs harmonie[1], parce qu’il anime la machine sans y occuper un lieu déterminé, et que, comme la santé est une manière d’être et non pas une partie de nos corps, il ne faut pas non plus assigner à l’âme un siége particulier. Cette opinion, à ce qu’il me semble, s’écarte infiniment de la vérité.
Car nous voyons souvent le corps, l’enveloppe extérieure, souffrir, quand le principe intérieur est satisfait : souvent, au contraire, l’âme est rongée de maux dans un corps sain et vigoureux, tout comme les pieds sentent quelquefois de la douleur, sans que la tête en reçoive l’atteinte.
D’ailleurs, quand nos membres se livrent au sommeil, que le corps appesanti est étourdi, privé de sentiment, il y a toujours en nous un autre principe qui éprouve à sa place ou le tressaillement de la joie ou le tourment de l’inquiétude.
Mais, pour te faire connaître que l’âme reste dans nos
- ↑ C’est la théorie pythagoricienne exposée par Simmias dans le Phédon de Platon, et réfutée par Socrate.