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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/281

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que solide, puisque je l’ai enseigné qu’il y a du vide dans la nature ; elle ne l’est pas non plus comme vide : il n’y a que trop de corps, dans cet univers infini, dont l’irruption soudaine ébranle son être et l’expose au danger de périr ; enfin il existe des espaces immenses où ses parties élémentaires peuvent se disperser, el sa substance périr de quelque manière que ce soit. Ce n’est donc pas pour elle qu’ont été fermées les portes du trépas[1].

XXXVI
INDIFFÉRENCE DU SAGE ÉPICURIEN À L’ÉGARD DE LA MORT.

Qu’est-ce donc que la mort, et que nous importent ses terreurs, si âme doit périr avec le corps ? Et de même que dans les siècles qui ont précédé notre naissance nous n’étions pas sensibles aux alarmes de Rome lorsque les Carthaginois vinrent l’assaillir, lorsque les airs ébranlés retentirent au loin du bruit de la guerre, lorsque le genre humain attendit en suspens sur la terre et l’onde duquel des deux peuples il allait devenir la conquête, de même quand nous ne serons plus, quand la mort aura séparé les deux substances dont l’union forme notre être, nous serons à l’abri des événements, et les débris mêlés du ciel, de la terre et de la mer ne pourront réveiller en nous le sentiment.

Mais quand même l’esprit et l’âme, après leur retraite, auraient encore des sensations, nous n’y pourrions prendre aucun intérêt, nous qui ne sommes que le résultat de l’union intime du corps et de l’esprit. Et, quand même, après le trépas, le temps viendrait à bout de rassembler toute la matière de nos corps, de remettre chaque molécule dans l’ordre et la situation qu’elle a présentement, et de nous rendre une seconde fois le flambeau de la vie, cette renaissance ne nous regarderait plus, la chaîne de notre existence ayant été une fois interrompue. Qui de nous s’inquiète maintenant de ce qu’il fut jadis, ou de ce que le temps fera des débris de

  1. Toute cette argumentation s’appuie sur ce principe non démontré : l’âme est corporelle, Voir les preuves de l’immortalité de l’âme dans le Phédon ; voir aussi Kant, Critique de la raison pure, t. II, p. 60 (trad. Tissot), et Critique de la raison pratique, p. 328 (trad. Barni).