Enfin, quand le sommeil a lié nos membres de ses douces chaînes, quand notre corps est étendu dans les bras d’un profond repos, il nous semble quelquefois être éveillés et en mouvement : nous croyons, au milieu des ténèbres, voir le soleil et la lumière du jour ; dans un lieu étroitement fermé, changer de climats, de mers, de fleuves, de montagnes, et franchir à pied des plaines immenses ; entendre des sons au milieu d’un silence profond et général, et répondre, quoique la langue reste immobile.
Nous voyons avec surprise une foule de pareils phénomènes qui tendent tous, mais en vain, à diminuer la conflance due aux sens ; l’erreur vient en grande partie des jugements de l’âme, que nous ajoutons de nous-mêmes aux rapports des sens, croyant avoir vu ce que les organes ne nous ont point montré. En effet, rien de plus rare que de dégager les rapports évidents des sens des conjectures incertaines que l’âme leur associe de son propre mouvement.
Celui qui soutient qu’on ne peut rien savoir ne sait pas même s’il est vrai qu’on ne puisse rien savoir, puisqu’il avoue qu’il ne sait rien. Je ne dispute point avec un homme qui contredit les notions les plus évidentes. Mais quand même je lui accorderais qu’il est sûr qu’on ne sait rien, je lui demanderais où il a appris ce que c’est que savoir et ignorer, n’ayant jamais rien trouvé de certain, d’où lui vient l’idée du vrai et du faux, et comment il distingue Le doute de la certitude.
Tu verras alors que la connaissance de la vérité nous vient primitivement des sens, que les sens ne peuvent être convaincus d’erreur, qu’ils méritent le plus haut degré de confiance parce que, par leur propre énergie, ils peuvent découvrir le faux, en lui opposant la vérité. En effet, où trouver un guide plus sûr que les sens ? Dira-t-on que la raison, fondée sur ces organes illusoires, pourra déposer contre eux, elle qui leur doit toute son existence, la raison, qui n’est qu’erreur, s’ils se trompent ? Dira-t-on que les oreilles peuvent rectifier les yeux, et être elles-mêmes rec-