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MADAME ROLAND

26 octobre, quand elle n’a plus que douze jours à vivre, elle lui répond. Quel son rendent des mots comme ceux de cette phrase allègre :

« Je me porte à merveille ; j’ai la tête aussi saine et le courage aussi vert que jamais. »


Alors que tous ses amis étaient tenus loin d’elle[1], il se trouva qu’un nouveau venu, qu’elle appela d’un nom de convention pour éviter de le compromettre, vint adoucir les dernières journées de la prisonnière. On se demandait encore qui pouvait bien être ce Jany, sur lequel tous les éditeurs avaient fait des conjectures évidemment fausses, lorsque M. Claude Perroud, au cours des remarquables travaux qu’il a consacrés à Mme Roland, découvrit qu’il s’agissait d’un membre de l’institut, nommé Edme Mentelle, historien et géographe. C’est donc sur Mentelle que Mme Roland s’appuya avec une douceur sublime pour s’arracher à la vie. C’est à cet ami dernier qu’elle écrivit plusieurs de ses dernières lettres, confia ses vœux secrets, adressa ses derniers soupirs.

« Je sais que B. [rissot] va être immolé, lui dit-elle, sur un ton poignant… Je trouve plus atroce que cela même la disposition qui interdit tout discours aux accusés. »

Un nouveau décret présenté par Faure, député de la Haute-Loire, pour augmenter le rendement, jugé trop faible, des tribunaux révolutionnaires, venait en effet d’interdire aux avocats de présenter la défense des accusés. Mme Roland, hautement pénétrée de l’esprit de 1789, ressentit avec une irritation méprisante l’iniquité d’une pareille mesure, mais on devine aussi que, dans sa solitude, elle s’était souvent représenté le jour où elle se trouverait face à face avec ses

  1. De son côté, Bancal des Issarts était prisonnier en Autriche. Bancal, le 30 mars 1793, fut l’un des quatre commissaires envoyés aux armées avec le ministre de la Guerre Beurnonville — par un décret de la Convention — pour ordonner à Dumouriez de faire sa soumission. Mais le général livra à l’ennemi les cinq commissaires qui furent conduits à Olmütz. Ils y restèrent vingt mois, puis, échangés contre la fille de Louis XVI, ils purent rentrer en France à la fin de 1795.