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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

accusateurs et qu’elle avait mis tous ses soins à composer un discours qui les confondît :

Tant qu’on pouvait parler, je me suis senti de la vocation pour la guillotine ; maintenant il n’y a plus de choix, et massacrée ici ou jugée là, c’est la même chose.

Elle demande à « Jany » de passer régulièrement chez Mme Sophie Grandchamps, sans doute pour y recevoir des nouvelles des « députés fugitifs ». C’est à « Jany » qu’elle remet les plus récents cahiers de ses Mémoires[1], à lui enfin qu’elle confie dans un renoncement suprême, quand l’heure la presse inexorablement, le médaillon de Buzot — this dear picture comme elle dit[2]. Le 8 octobre (1793), elle écrit une dernière fois à sa fille. Elle ne veut pas pleurer. Hélas ! comment peut-elle y réussir ! À sa bonne Fleury, l’amie humble et sûre, sur le même grand papier sordide, elle laisse un adieu qui déchire. Ces lettres, avec le dernier cahier des Mémoires et l’éloquente conclusion intitulée : Mes dernières pensées[3], furent ensemble cachetées pour être remises à Jany[4].

Ayant réglé avec le plus grand soin le détail de ses affaires privées, pensé à la harpe de sa fille, pensé à la rente des vieux parents Besnard qui vivent toujours « rue et île Saint-Louis », elle laisse deux petites bagues, les seuls bijoux qu’elle eût jamais possédés et auxquels son souvenir seul conférait du prix, l’une à Bosc, l’autre au père adoptif d’Eudora. Elle dit adieu à « l’homme respectable qui est son époux » ; adieu aux « rustiques habitants de Theizé[5] qui bénissiez ma présence, dit-elle, dont j’essuyais les sueurs, adoucissais la misère et soignais les maladies » ; adieu à ces « cabinets paisibles » où elle avait jadis « nourri son esprit de vérité ».

  1. Les premiers avaient été confiés à Bosc qui les avait cachés à Sainte-Radegonde, sous la grosse poutre de la porte charretière.
  2. Ce médaillon, qui porte au dos une notice écrite de la main de Mme Roland, est conservé à la Bibliothèque municipale de Versailles.
  3. Elle écrivit sous le titre : « To be or not to be, it is the question. Elle sera bientôt résolue pour moi. »
  4. Mentelle avait également reçu en dépôt les Mémoires de Brissot.
  5. Le village voisin du Clos de la Platière.