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MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

Il venait quelquefois apporter à Mlle Phlipon les Notes que « l’ultramontain » rédigeait au cours de son voyage et qui, plus tard, devinrent les Lettres d’Italie à Mlle X…[1].

Au retour de M. Roland, disent les Mémoires, je me trouvai un ami ; sa gravité, ses mœurs, ses habitudes toutes consacrées au travail me le faisaient considérer pour ainsi dire sans sexe ou comme un philosophe qui n’existait que par la raison.

Quatre lignes peuvent résumer bien des choses. Elles peuvent aussi suffire à égarer complètement le lecteur. Que l’on ne se fie pas trop à celles-ci.

La vérité est que la philosophie et la raison ne furent pas consultées le moins du monde dans l’affaire. Entre cette belle fille de vingt-quatre ans et ce barbon plus vieux qu’Arnolphe ce fut une lutte frénétique, désespérée, qui ne se termina qu’en 1780 après avoir débuté en 1775. Ce qu’il s’y trouva de plus singulier, c’est qu’ils y prirent tous deux le masque opposé à leur vrai personnage. Roland profondément épris, mais bien fâché de l’être, se montra hargneux, irrésolu, absurde, et elle qui croyait voir en lui un homme de premier plan, elle dont le penchant était tout cérébral, parvint à le prendre et à le reprendre, l’ayant perdu vingt fois, à force de douceur, de tendresse, de soumission féminine, pour le conduire enfin à ce qu’il ne voulait pas : le mariage.

Dès le début il avait été réticent, comme nous savons, froid dans l’apparence, inquiet et prêt au recul. Il ne s’était pas laissé conduire sans difficulté à l’habitude de correspondre. L’intimité de l’été de 1776 n’avait fait que rendre plus sensible le silence complet qu’il observa de février à septembre 1777. Il est vrai qu’il échangeait alors des lettres avec sa mère et avec le chanoine Dominique, son frère aîné, au sujet d’un mariage éventuel, pendant que Manon entretenait avec Sevelinges les relations ambiguës dont elle cherchait à tromper sa solitude et son ennui.

Elle est sujette à des caprices, à des vapeurs. Un jour, sur un ton très amer, elle se plaint de la vie et sanglote sur son

  1. Elles furent publiées à Amsterdam en 1782.