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MADAME ROLAND

partir pour l’Italie où son protecteur, Trudaine de Montigny, l’envoyait faire un voyage d’études commerciales. Pendant cet été de 1776 où il préparait son voyage, il se lia avec Mlle Phlipon, au point de confier à cette docte fille, dont les entretiens le captivaient et dont il avait éprouvé le caractère solide, un gros paquet de manuscrits dont il permettait qu’elle disposât à son gré s’il ne revenait pas. Rien ne pouvait flatter Manon à l’égard d’une telle marque de confiance, mais sa pensée était ailleurs. C’est probablement pour cela que Roland, qui avait dû s’en aperçevoir, avait cessé de se surveiller aussi rigoureusement, et si elle rougit, c’était pour la forme, lorsque le voyageur, qui avait dîné avec Sainte-Lette à la table des Phlipon, la veille de son départ, demanda à l’embrasser. Dans le moment, c’est en effet Sevelinges qui la préoccupe et elle est même en train de composer, sur son conseil, un morceau mis au concours par l’Académie de Besançon sur la question de savoir « comment l’éducation des femmes pouvait contribuer à rendre les hommes meilleurs ».

Roland resta quatorze mois en Italie.

Il semble que, pendant un certain temps, elle n’entendit pas parler de lui. Dans le secret de son petit cabinet, elle lut puis relut les papiers qu’il lui avait laissés et ces récits de voyage, ces réflexions morales, ces œuvres ébauchées, lui firent connaître, pour son ravissement, « une âme forte, une probité austère, des principes rigoureux ». Une correspondance, toute mêlée d’italien, s’engagea bientôt.

De Naples, le 10 janvier 1777, il adresse à son amie un long morceau où il fait le portrait de l’élève-inspecteur idéal. Il connaît son sujet et ses idées sont nobles. Manon lui répond :

Combien vous faites votre éloge par l’enthousiasme sublime avec lequel vous tracez celui de la vertu !… J’ai relu souvent la lettre sur l’élève-inspecteur. Le pourquoi ne vous regarde pas, mais c’est que j’y trouvais mon âme.

Avant de partir pour l’Italie Roland avait présenté, quai de l’Horloge, son frère préféré, le bénédictin Dom Pierre. C’était « un homme d’esprit, de mœurs douces, de caractère aimable ».