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MADAME ROLAND

vait la mettre en relation avec une femme de Madame Adélaïde ; chez le premier fauconnier de France, etc., etc.

Mes trente ans ne font fuir personne, écrit-elle gaiement à son mari.

Néanmoins, chez M. de Tholozan, Intendant général du Commerce, elle trouva un accueil déconcertant. Il l’avait reçue en bonnet de nuit, avec une mauvaise humeur qui éclata lorsqu’elle commença l’éloge de Roland.

« Gardez-vous bien de nous le présenter comme un homme supérieur, s’écrie-t-il. C’est sa prétention, mais nous sommes loin de le juger tel. » Et un orage de critiques s’abat sur la bonne épouse : contradiction perpétuelle, prétentions de tous les genres, pédantisme, mauvais écrivain, mauvais politique, etc. Elle ne se décourage pas, tient bon, argumente avec adresse, embarrasse même l’interlocuteur qui finit par sourire et convient qu’« elle peut beaucoup servir son mari », qu’on l’« entend avec plaisir » et, quand elle s’en va, le terrible homme, apprivoisé, se laisse aller à dire qu’il travaillera pour elle.

Cependant la jeune femme trouve que l’absence se prolonge beaucoup loin des siens et Fleury « soupire Eudora à chaque mouvement de respiration ». Mme Roland écrit à son mari :

Je sens plus vivement que jamais qu’aucun bien ne peut équivaloir à celui de la tendre amitié, de l’intime dévouement répandant sa douceur sur tous les instants du jour. J’ai hâte de retourner en jouir. Je ne vis point. Mon cœur, tout moi-même, est sans cesse autour de toi et de notre enfant.

Ses amis l’enveloppaient cependant des soins les plus attentifs. Bosc avait eu l’aimable pensée, en l’entendant regretter son clavecin, de lui faire porter dans sa chambre d’hôtel un forte-piano. Quand elle pouvait se distraire des Lettres de noblesse ou du Dictionnaire des Manufactures — dont elle surveillait l’impression — elle courait les environs de Paris avec les deux jeunes gens. Ils allaient à Versailles, à Auteuil, au Bois de Boulogne gober des œufs frais pondus ; à Vincennes rendre visite au chanoine Bimont ; à Alfort chez les professeurs de l’École vétéri-