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LA VIE CONJUGALE

réveillées. L’espoir d’un héritier du nom leur avait mis en tête d’obtenir des Lettres de Noblesse et, malgré les difficultés, ils n’y renoncèrent pas en apprenant que l’enfant n’était qu’une fille.

Tout d’abord il fallait exposer les titres à faire prévaloir dans un Mémoire d’extraction que le chanoine Dominique soumettrait à la signature de la noblesse du Beaujolais.

C’est une chose assez remarquable que, dans cette famille où il y avait cinq hommes, dont quatre d’Église, tous instruits et actifs, le soin de rédiger le placet et d’aller à Paris pour soutenir les droits qui y étaient exposés fut, d’un commun accord, remis à une jeune femme. M. de la Platière avait-il obscurément compris qu’avec son ton doctoral et cassant, son air empesé et revêche, il ferait mieux de s’effacer et de mettre au service de sa cause la souplesse spirituelle et la grâce rusée que sa femme allait en effet déployer pour l’émerveillement général ?

Elle partit, pleine d’entrain, au mois de mars 1784, avec sa bonne Fleury, ayant laissé à Roland et à la cuisinière Louison le soin de la petite Eudora. Elle descendit à l’hôtel de Lyon et s’installa dans deux chambres du second étage. Lanthenas, qui achevait mollement ses études de médecine, était logé au-dessus d’elle comme en 1781, et M. d’Antic, à partir de ce moment, abandonna les Postes et même la botanique, pour s’attacher aux pas de son amie.

Sur-le-champ elle se met à l’œuvre.

Il lui faut obtenir une audience de M. de Vergennes, mettre M. de Calonne dans ses intérêts, amadouer les Intendants du Commerce que certaines manifestations du caractère aigre et hautain de M. de la Platière ont positivement exaspérés.

Par M. de Flesselles, par Cousin-Despréaux, par Mlle de la Belouze, la cousine de grande considération, Mme Roland s’était procuré toutes les lettres préliminaires imaginables. Sans autres armes que ces papiers chétifs, elle se lance avec une intrépidité, un esprit et un tact qui font la conquête des plus hargneux, dans in monde qu’elle ne connaît aucunement, mais où elle évolue comme si elle y était née. Ce sont des démarches chez Mme de Candie, première femme de chambre de Madame Élisabeth ; chez une dame de qualité qui pou-