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PAN, (parlé). J’ai un rival dans les moutons.

CHLOÉ.
II

Hélas ! à ta chère maîtresse,
T’a demandé plus d’un berger ;
Il t’aurait fait mainte caresse,
Mais eût fini par te manger !
Va, ne crains pas que je te quitte,
Crois-en ma voix ;
Chez un époux si je m’abrite,
Nous serons trois.
Ah ! Daphnis, qui nous guette, etc.

PAN. Oh ! je ne sais qui me retient, (Par réflexion) ah ! c’est mon piédestal qui me retient !

CHLOÉ, cherchant des yeux. Seule ! Il n’est pas encore venu !

PAN, à part. Il !… qui donc ?

CHLOÉ. Il m’avait dit : de bien bonne heure, près de la statue du dieu Pan. La voilà la statue. Il n’est pas beau, le dieu Pan !

PAN, à part. Hein !

CHLOÉ. Il ressemble à ce vilain satyre que j’ai rencontré l’autre jour près du petit bois.

PAN, souriant de même. Vilain satyre ! Est-elle primitive !

CHLOÉ. Mais on dit qu’il est bien bon, surtout pour les jeunes filles… aussi je n’ai pas voulu m’arrêter devant sa statue sans lui offrir cette couronne de fleurs que j’ai faite pour lui.

PAN. Pour moi ?

CHLOÉ. Et sans lui demander sa protection, car je ne sais pas ce que j’ai… mais je souffre !

PAN, de même. Elle souffre ! ah ! que je voudrais la guérir !

CHLOÉ. Pourquoi Daphnis n’est-il pas ici ?

PAN. Daphnis !

CHLOÉ. Que fait-il ? Pourquoi son absence me rend-elle toujours si triste ? Je suis pourtant bien sûre de son amitié !… J’aurais désiré qu’il fût là pour offrir avec moi cette couronne au dieu Pan. Mais puisque Daphnis se fait attendre, je la lui offrirai sans lui !

PAN, de même. Et ce me sera infiniment plus agréable !

CHLOÉ, s’approchant du dieu. Cher dieu Pan, daigne, je t’en supplie, venir au secours d’une pauvre bergère qui aime et qui vaudrait savoir si on l’aime.

PAN, prenant l’intonation de Chloé. On l’aime !

CHLOÉ. Tiens ! il y a un écho ici ! (À la statue). Dieu protecteur de l’innocence, je viens me mettre à ta merci !

PAN, de même. Merci !

CHLOÉ. Accepte cette couronne, et veille sur moi toujours.

PAN, de même. Toujours !

CHLOÉ, étonnée. Ah ! le charmant écho ! (À l’écho.) Cher écho, veux-tu toujours ainsi répondre à mes demandes ?

PAN, de même. Demande !

CHLOÉ. Daphnis ne viendra-t-il pas ici ?

PAN, de même. Ici !

CHLOÉ. Dois-je avoir confiance au berger qui porte ce nom ?

PAN, de même. Non !

CHLOÉ. Serait-ce un perfide ?

PAN, de même. Un perfide !

CHLOÉ. Lui qui aime tant mon mouton !

PAN, s’oubliant. J’aime aussi le mouton.

CHLOÉ. Ah ! grands dieux ! mais ce n’est plus un écho ! (Se rapprochant de la statue). Et sans la présence du dieu Pan… (Pan se penche, la baise au front et reprend son immobilité.) Un baiser, et je ne vois personne. Oh ! vite, sauvons-nous ! (On entend la ritournelle de l’air suivant.) Ah ! c’est Daphnis.

PAN. Mon rival ! ah ! si j’avais la foudre de papa Jupin !


Scène IV.

Les Mêmes, DAPHNIS.

Il accourt sur la ritournelle qui se joue forté à l’orchestre. Il dépose son bâton de berger à côté de la statue du dieu Pan.

DUETTO.
CHLOÉ.

Je le vois, ô bonheur !
Bats moins fort, ô mon cœur !
Un transport, une flamme,
A brûlé, charmé mon âme !

DAPHNIS.

Je la vois, ô bonheur !
Bats moins fort, ô mon cœur !
Un transport, une flamme,
A brûlé, charmé mon âme !

CHLOÉ.

Méchant, c’est toi, qui, sur ta route,
Faisais l’écho !

DAPHNIS.

Faisais l’écho !L’écho ! mais non !

CHLOÉ.

Ce n’était pas toi ?

DAPHNIS.

Ce n’était pas toi ? Non, sans doute !

CHLOÉ.

D’où ce baiser venait-il donc ?

DAPHNIS.

Là-bas, je conduisais mes chèvres,
Et je puis jurer que mes lèvres
N’ont jamais su prendre un baiser.

CHLOÉ.

Mais si tu m’embrassais, peut-être
Pourrais-je bien reconnaître
Si c’est toi qu’il faut accuser !

REPRISE DE L’ENSEMBLE.
CHLOÉ.

Je le vois, etc.

DAPHNIS.

Je la vois, etc.