Page:Clairville et Cordier - Daphnis et Chloé, 1866.djvu/5

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DAPHNIS. Mais de quel écho parlais-tu ?

CHLOÉ. Je ne sais, j’étais seule, et j’ai cru entendre ; mais je me serai trompée.

DAPHNIS. Ou bien, c’était un rêve, comme j’en fais souvent tout éveillé.

CHLOÉ. Ah !

DAPHNIS. (Ils se promènent bras dessus bras dessous.) Oui, je ne sais pas ce que ça veut dire ; mais quand tu n’es pas là, je crois entendre ta voix, je crois te voir.

CHLOÉ. Me voir !

DAPHNIS. Alors, mon esprit voyage, voyage !… Nous nous promenons dans de superbes campagnes ; nos moutons y trouvent d’immenses pâturages, et pendant qu’ils broutent l’herbe tendre, tous deux nous allons nous asseoir sur un tapis de fleurs, au bord d’un clair ruisseau… et là…

CHLOÉ. Et là…

DAPHNIS. Eh bien, c’est toujours là que mon rêve s’embrouille… Ce que je veux, ce que je ressens, c’est un bonheur étrange, et qui me fait un bien…

PAN, à part. Petit scélérat !

CHLOÉ. Mais ce rêve, c’est la réalité ! N’es-tu pas toujours auprès de moi ? Ces campagnes ne sont-elles pas superbes ? N’y sommes-nous pas heureux ?

DAPHNIS. Eh bien, non ! Près de toi, j’ai souvent regretté mon rêve.

CHLOÉ. Eh bien, c’est gentil !

DAPHNIS. Ou plutôt… Tiens, viens t’asseoir… là… (Il conduit Chloé sur un banc de gazon au pied de la statue.)

PAN, à part. Eh quoi ! à mon nez ! à ma barbe de Pan !

CHLOÉ. Voyons, parle, je t’écoute !

DAPHNIS. Veux-tu que je te dise, Chloé : Je me crois malade !

CHLOÉ. Malade !

DAPHNIS. Oui, ce que je ressens n’est pas naturel… quand je n’ai pas de visions qui me rendent fou, loin de toi, je suis triste, malheureux !

CHLOÉ. Mais loin de toi, Daphnis, je suis triste et malheureuse aussi !

PAN, à part. Je joue un joli rôle ici.

DAPHNIS. Alors, je te cherche, je t’appelle… et si je te retrouve…

CHLOÉ. Eh bien, tu es heureux ! Toujours comme moi.

DAPHNIS. D’abord, oui, c’est vrai, quand je te revois, mon cœur bat, ma tête brûle, je crois que je touche au bonheur, et puis…

CHLOÉ. Et puis…

DAPHNIS. Quand je suis à tes côtés…

CHLOÉ. Comme à présent…

DAPHNIS. Comme à présent… je te regarde, je pense à mes rêves, j’éprouve mille désirs… et je sais ce que je désire…

PAN, de même. Petit imbécile !

DAPHNIS. Je suis dans l’Olympe et dans les enfers tout à la fois… Enfin, que veux-tu que je te dise ? Je suis triste et malheureux comme auparavant.

CHLOÉ, se levant. Écoute, j’ai bien réfléchi ; je crois savoir ce qui nous manque.

DAPHNIS. Tu crois ?…

CHLOÉ. Quand nous rencontrons sur notre route des bergers et des bergères, nous les entendons chanter en s’accompagnant.

DAPHNIS. C’est vrai, que ne pouvons-nous faire comme eux !

TRIO.
CHLOÉ.

Si nous avions ici, Daphnis, un chalumeau !
(Pan jette son chalumeau entre les deux amants.)
(Regardant la statue.)
Ma voix est entendue !

DAPHNIS.

Dieu ! quelle découverte !
C’est la flûte de Pan, creusée en un roseau !
Avec ces tendres harmonies,
Dont il possède les secrets,
Pan évoque tous les génies
Et les nymphes de nos forêts !
Pour entendre
Sa voix si tendre
Du fond des eaux,
Se lèvent les naïades,
Dans les roseaux ;
Et les chênes,
Disant leurs peines,
Agitent leurs rameaux !

PAN.

Mon Dieu ! qu’il est bête !
Pour moi, c’est nouveau,
Jouer du chalumeau
Dans un tête-à-tête !

DAPHNIS.

Hélas ! cet instrument divin,
En mes mains devient inutile !

CHLOÉ.

Il est cependant bien facile
De se rappeler le refrain
Qui charme ces campagnes,
Et que sur les coteaux
Répètent mes compagnes
En menant leurs troupeaux.

DAPHNIS.

De ta voix si tendre,
Daphnis veut l’apprendre !

CHLOÉ.

Écoute bien
Ce doux refrain.
Le voilà (ter)

CHLOÉ ET DAPHNIS.

Pan pan pan,
Le dieu Pan
Fait pan pan
De son pied de chèvre