Aller au contenu

Page:Claretie - Erckmann-Chatrian, 1883.pdf/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vert ; moi, je demeurerai ici, et, avant ton départ, nous brûlerons ce manuscrit jusqu’au dernier feuillet, pour ne pas être tentés d’utiliser un récit qui ne nous satisfait pas.

— C’est bien, fit Erckmann, nous brûlerons.

Et le lendemain, silencieusement au coin de la cheminée de la maison du Raincy, les deux amis jetaient aux flammes, feuille à feuille, ce livre qui représentait pour chacun d’eux six mois de labeur, de pensées, de création, d’espoir. Le dernier feuillet tomba dans le brasier, s’alluma et devint cette poussière noire où couvent encore, prêtes à mourir, des bataillons d’étincelles ; puis, lorsque tout fut consumé, on s’embrassa. Chatrian conduisit Erckmann à la gare, et chacun se prit à songer à une œuvre nouvelle pour oublier celle qu’on venait de jeter aux flammes, au vent et à l’oubli.

Cela n’a l’air de rien, un trait pareil, et cela pourtant a son héroïsme. Ceux-là seuls qui connaissent le prix d’un travail semblable peuvent se rendre compte de la valeur du sacrifice.

En résumé, la valeur de l’œuvre de ces hommes n’est pas contestable. Dans l’affaissement de la pure littérature, dans l’envahissement des lettres par une sorte d’immoralité in-