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poètes, ses artistes ; il les a déjà, et depuis des siècles. Les classiques eux-mêmes, lorsqu’ils voulaient plaire au commun des hommes, n’y comprenaient pas le populaire ; ils s’arrêtaient à la bourgeoisie.

Les formes supérieures de l’art, comme celles de la science et de toute pensée, sont un privilège. On ne l’abolira point : il devient plus exclusif. Mais il ne fait état, ni de la race, ni de la fortune. Ceux mêmes qui sont nés misérables l’obtiennent par le mérite de leur esprit, et ils en sont consolés. C’est dans tous les groupes de la société, c’est dans tous les pays, par delà les frontières et les mers, que la plus pure musique d’aujourd’hui se recrute des amis inconnus. C’est en ce sens, le seul vrai, qu’on peut la dire universelle. Et cette vertu lui est garantie plus sûrement par son récent progrès.

Elle s’est dégagée en effet de tout ce que le symbolisme et l’impressionnisme contenaient de complexe, par suite, de particulier, de passager et d’exceptionnel. De tout temps, elle tendait à la simplicité. Mais aujourd’hui cette simplicité s’est dépouillée, condensée et concentrée ; toute la fraîcheur des sensations est gardée, mais elles sont choisies, et liées de rapports nécessaires. L’œuvre n’est plus d’un moment ; elle tient par elle-même, détachée de toute circonstance. C’est pourquoi son pouvoir s’étend désormais sur tous ceux à qui le sentiment de la musique n’a pas été refusé.