Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/168

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— En ville ?

— Chez les Malais. »

Torral feignit une excessive surprise.

— « Les Malais ? Tu vas chez ces gens chics ? »

Il éclata de rire et se croisa les bras.

« Mon pauvre vieux ! C’est donc vrai. On me l’avait dit, je n’y croyais pas. Toi, un civilisé, un soldat de notre avant-garde, te voilà devenu cette chose grotesque : un homme du monde ! Te voilà acoquiné à des jupes de femmes, te voilà garrotté parmi des politesses, des élégances et des snobismes ! Des jupes qui n’ont même pas l’excuse d’être bonnes à trousser ; des courbettes qui jamais ne te rapporteront mieux que des courbettes réciproques : fausse marchandise, fausse monnaie. Et pour le ragoût barbare et malsain de ce salmis de mensonges, tu craches la saveur de notre vie rationnelle et droite, — mathématique ! Il y a dix jours que tu nous as tourné le dos ; dix jours que tu as renié notre idéal raisonnable d’hommes ; quelle chimère, quelle sottise poursuis-tu maintenant ? dans quel bourbier menteur t’enlizes-tu, toi l’homme sincère ? Tu es fou ou renégat.

— Tu exagères, » dit Fierce.

Il avait essuyé sans broncher la mercuriale. En face du philosophe qu’il n’essayait pas de réfuter, il se sentait gêné et penaud. Mais la vie nouvelle qu’il goûtait depuis ces dix jours, l’enchaînait par trop de douceurs pour qu’il acceptât désormais d’y renoncer. Il plaida :

« Je vis selon ta formule : J’ai trouvé sans effort