Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/256

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que c’était contre des compatriotes, et que les guerres civiles d’Asie, — et d’Europe, — sont inexpiables.

Les canonnières couraient d’arroyo en arroyo ; parfois, — rarement, — elles sondaient les bois de quelques obus. Les insurgés avaient peur d’elles et s’en écartaient ; ils dédaignaient les balles et la canonnade, mais leur théologie populaire, — toujours respectée et nourrie par leurs lettrés, — emplissait de démons hostiles ces machines flottantes nuit et jour panachées de fumées et d’étincelles. — Les canonnières allaient et venaient en vain : on fuyait devant elles.

C’étaient alors de longues randonnées inutiles, sur de faux renseignements donnés par de faux espions. — Le village à bombarder demeurait introuvable, à moins qu’il ne fût déjà en cendres ; les sampans de guerre signalés au fond d’un bras sans issue devenaient magiquement quelques planches pourries. — Les chefs exaspérés tentaient parfois une opération d’envergure : on cernait quinze lieues de pays ; on épaississait les lignes, on doublait les grand’gardes ; les canonnières barraient chaque arroyo ; et l’on n’avançait qu’après mille précautions prises : on marchait en silence à travers les bois vides ; le cercle se resserrait : rien. La nuit tombait cependant, et dans les fourrés noirs, une fusillade tardive éclatait ; des balles sifflaient jusqu’au fleuve, et les tôles des canonnières sonnaient sous les coups ; le canon s’en mêlait, c’était enfin une vraie bataille qui durait jusqu’à l’aube. Mais à l’aube, le feu cessait soudain, car on s’était trompé : il n’y avait point d’ennemi. Égaré ou