Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/275

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beau temps que je marche dessus pour vous. Voilà deux mois que je me suis fait votre ombre, deux mois qu’en vous aimant, j’ai renié ma vie, deux mois que Saïgon, qui m’a connu fier et dédaigneux, triomphe de me voir pris au piège. — Que m’importe ! C’est de mon cœur qu’il s’agit, non de ma vanité ; — de mon cœur qui ne peut se passer du vôtre, de mon cœur et de ma vie, car si vous me repoussez, je mourrai ! »

Elle le considéra avec curiosité et ironie.

— « Vous êtes très éloquent !… Je comprends beaucoup de choses que je n’avais jamais comprises… Dites-moi ? quand vous parlez à Mme Malais, sont-ce les mêmes phrases ? »

Il pâlit. — Le Sphinx était vainqueur ; l’énigme restait indéchiffrée. — Il regardait fixement les yeux noirs. — Elle ne voulait pas… Pourquoi ne voulait-elle pas ?

Il s’exaspéra soudain de sa défaite. Jadis, il avait su les mots insolents qui blessent les femmes dédaigneuses. Il tâcha de les retrouver, de s’en servir.

— « Tiens ? dit-il en reculant ; vous êtes renseignée plus que je ne croyais. Tant mieux : puisque vous avez commencé d’être franche, j’espère que vous le serez jusqu’au bout. Rien qu’un mot, et je m’en irai, — pour toujours. Si je me tue en sortant d’ici, je veux savoir pourquoi. Faites-moi cette grâce la raison de votre refus, la vraie ? »

Elle se rassit.

… « Je n’en ai pas à vous donner.