Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/288

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les eut couchés pêle-mêle sur les coussins, sur le tapis, comme des soldats tués. L’orgie finissait en torpeur. Les femmes, épuisées, s’endormaient malgré les cahots ; les hommes, inertes, ne pensaient plus. Et ils revinrent vers Saïgon, corps mous et têtes vides. Ils avaient été très loin ; le chemin du retour était long : c’était la Plaine des Tombeaux, éternellement silencieuse.

À l’ouest, les éclairs s’étaient éteints ; le vent était mort.

Or, ils arrivèrent au tombeau de l’Évêque d’Adran, qui se profila confusément sur l’horizon sombre. Et il se passa une chose étrange et terrible : — les chevaux, qui trottaient en buttant, fourbus, bondirent tout à coup de peur, et reculèrent en se cabrant. La voiture brutalisée vint se mettre en travers de la route et faillit verser. Tous, arrachés du sommeil ou de la stupeur, se dressèrent effarés, avec des cris.

La voiture reculait toujours, malgré le fouet du saïs. Torral, dégrisé, sauta à terre. En avant, la route était noire comme de l’encre. Fierce, sautant à son tour, saisit une des lanternes, et tâcha de découvrir l’obstacle invisible.

— « Il n’y a rien ? » fit-il en se retournant.

Mais la lanterne alors éclaira la face de Mévil, resté en arrière ; — et, ensemble, Torral et Fierce étouffèrent un cri :

Les yeux de Mévil étaient hagards dans un visage convulsé de terreur et gris comme cendre ; — il n’y