Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/289

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avait plus de sang à ce visage-là, plus une goutte ; et l’on voyait les dents grelotter dans le trou de la bouche. Les cils aussi vacillaient autour des yeux, et ces yeux, fixes comme des yeux de chouette, regardaient au fond de la nuit, regardaient et voyaient la Chose Épouvantable que la lanterne n’avait pas po éclairer.

— « Là… — là !… »

Il parlait comme on suffoque.

« Le fantôme… l’évêque d’Adran… qui barre la route dans son suaire… Il me fait signe… à moi… »

Les femmes affolées crièrent ; Fierce sentit une sueur froide à ses tempes ; Torral recula malgré lui. Une peur indomptable passait sur eux, comme une rafale sur des feuilles qui tremblent. Les chevaux semblaient rivés au sol.

Il n’y avait rien pourtant, rien qu’on vit ! La nuit était vide. Fierce, d’une secousse, avança de trois pas : un orgueil farouche ressuscitait au fond de lui, l’orgueil héréditaire de sa race qui avait été forte ; et cet orgueil ancien s’amalgamait bizarrement avec l’ironie sceptique des Français de la Décadence. Debout, face à ce qu’on ne voyait pas, Fierce, railleusement, exorcisa :

— « In nomine Diaboli… Monsieur l’Évêque, s’il vous plaît, place aux honnêtes vivants que nous sommes ! Vous faites peur à des femmes, c’est peu galant, et tout à fait indigne de votre caractère épiscopal. — Si c’est un mauvais présage que vous nous apportez, je le prends pour moi, et que tout soit dit.