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Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/294

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tine le chassa de sa chambre. Le croiseur était déjà muet et obscur. Les clairons avaient rappelé au branle-bas du soir ; l’équipage était sur le pont ; la batterie vide apparaissait grande, basse et lugubre comme une crypte de cathédrale. Fierce, hâtivement, gagna la coupée, s’évada de ce silence et de cette ombre. Sur le quai, la nuit n’était pas encore opaque.

Il marcha d’abord au hasard ; mais ce hasard, sournois, guidait ses pas vers la rue des Moïs, — et quand il vit où il allait, il eut encore peur et fit demi-tour. Cette fois, il chercha la maison de Mévil : sa détresse avait besoin d’un secours, n’importe lequel.

Mais Mévil n’était pas chez lui. Fierce vit la grille ouverte, et les boys sur le pas de la porte, en groupe étonné et inquiet. Le maître, sorti seul après la sieste, n’avait point laissé d’ordres et n’était pas rentré.

À pas lourds, Fierce recommença d’aller. Il avait cherché Mévil, il cherchait Torral ; — il cherchait une main à quoi s’accrocher.

Il traversa la rue Catinat, et des gens qui couraient le bousculèrent, — sans qu’il y prît garde. — Un tumulte régnait dans la ville, — qu’il ne remarqua pas. — La foule, nombreuse toujours après le crépuscule, semblait agitée d’une émotion qui allait croissant. Au loin, vers l’hôtel des postes où s’affichent les télégrammes des agences, un flux de peuple se précipitait, avec des cris et des bras levés ; c’était la rumeur d’une émeute. Des estafettes galopaient, des crieurs de journaux hurlaient, et leurs feuilles arrachées étaient brandies comme des drapeaux. Une