Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sélysette était morte pour lui, qu’il ne la reverrait même pas, — jamais ! — lui arracha un gémissement de torture. Il répéta : « C’est fini, » avec la compréhension nette, cette fois, de toute sa vie fauchée, de sa mort obligatoire. Retomber dans le vice, dans le nihilisme, dans la civilisation, — non. — J’aime encore le vin et les femmes, disait jadis Lorenzaccio ; c’est assez pour faire de moi un débauché, mais ce n’est pas assez pour me donner envie de l’être. — Fierce n’avait plus envie, ni courage.

L’espoir d’un pardon, d’une pitié de Sélysette, il n’y songea même pas : on pardonne un coupable, on a pitié d’un malheureux ; mais on n’épouse pas un faussaire qui a pris le nom et le masque d’un honnête homme jadis aimé. Fierce était ce faussaire, et Sélysette avait constaté le faux de ses yeux. — Quel remède ? — Jamais situation n’avait été si claire. — Fierce ricana d’impuissance et de désespoir : il pouvait écrire, supplier, pleurer ; — c’était fini quand même ; — fini ; — fini. Il se martela le mot dans la cervelle. Après quoi, — pareil au noyé imbécile qui s’use les ongles aux parois lisses de son puits, — il écrivit, il supplia, il pleura. Mais sa lettre lui revint cachetée, et, avec elle, un billet bref dans quoi on lui rendait sa parole, — un billet qu’il reçut sur la nuque, comme les guillotinés reçoivent le couperet.

Il n’avait pas déjeuné ; il ne dîna pas. Sept heures sonnaient, sept heures du soir. Il s’aperçut que tout un jour avait passé, de l’aube à la brune. Dans la nuit grandissante, il frissonna d’être seul ; une peur enfan-