Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/31

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féroce y trouvait toujours une route hospitalière, implacablement prolongée jusqu’à l’infini.

— « Voilà, concluait-il, comment nous avons, une fois de plus, échangé l’hiver de là-bas pour l’été d’ici. Trente degrés centigrades de différence. Je sais des femmes qui mourront de cette aventure.

— Quelles femmes ? fit Mévil.

— Celles, amoureuses et délaissées, qui pleurent là-bas nos caresses enfuies. — Triste.

— Tu avais une mousmé à Nagasaki ?

— J’avais toutes les mousmés du Marouyama. Le Marouyama, je le dis en cas que l’un de vous l’ignore, est le Yoshivara de Nagasaki. C’est un quartier correct et décent, comme sont toutes les choses japonaises, où beaucoup de petites filles gentiment attifées sourient aux passants derrière des grilles de bambous. On peut regarder et toucher : la vue n’en coûte rien, et le toucher peu de chose. L’ensemble est économique, rafraîchissant et presque agréable.

— Le Japon n’a guère changé.

— Si, beaucoup, dit Fierce. Les mœurs, les habits, la nature même, se sont conformés aux modes occidentales. Mais la race n’a guère subi de croisements, et la cervelle japonaise est restée intacte. Le mécanisme cérébral y fonctionne toujours de même, et les nouvelles idées qu’il engendre conservent la forme des idées de jadis. — Les Japonais ont constaté que leur prostitution ne ressemblait pas à la prostitution européenne ; mais ils n’ont pas pu l’y faire ressembler, parce que leurs femmes conservent, et conserveront