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Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/41

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figure de vieillard style Tour de Nesles m’est inconnu, et je le regrette.

— C’est mon amiral, dit Fierce, le père d’Orvilliers.

— Nouveau venu, tout s’explique. Je poursuis. Avant-scène gauche, en face des pouvoirs politico-militaires, les pouvoirs économico-financiers, plus stables : cette énorme brute, carrée de partout, avec des dents de loup et des mains qui font peur, le sieur Malais, fermier du riz, du thé et de l’opium, et mon ennemi particulier ; quarante millions trébuchant au soleil, tous mal acquis. À côté, sa femme, plus blonde, plus rose et plus mince qu’on ne la voit d’ici, et malheureusement trop chère pour ma bourse : sans quoi, j’aurais déjà oublié mon portefeuille sur la table à thé de sa véranda. Passons. Les loges de face, semi-officielles : à gauche, ce tas de brocart vert, somptueusement brodé, et la toute petite main brune qu’on devine dans la manche pagode, Mlle Jeanne Nguyen-Hoc, fille unique du nouveau Phou de Cholon, étrange et mystérieux petit animal dont on ne sait pas s’il est plus européen dans l’apparence ou plus asiatique dans la réalité. À droite, le lieutenant-gouverneur Abel, notre amé sous-potentat, qui trône familialement entre sa première fille et sa seconde femme, qu’on prendrait assez bien pour deux sœurs : l’une jolie et l’autre laide…

— Rudement jolie, la jolie, observa Fierce ; un sphinx en albâtre, avec des yeux de diamant noir……

— Trop petite fille, et sa belle-mère insuffisamment plastique. Ce n’est pas intéressant. Regarde plus loin,