Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/44

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— « Elle s’appelle Hélène Liseron, monsieur. Voulez-vous me faire l’honneur de prendre mon programme, monsieur ?

— Liseron ? dit Fierce. Alors je la connais. Elle était, l’an dernier, la maîtresse de mon camarade Chose, à Constantinople, et quand on le crut tué dans le fameux attentat bulgare, elle s’envoya sans barguigner trois coups de revolver dans la poitrine, dont heureusement pas un ne trouva le bon endroit. On les soigna côte à côte à l’hôpital, elle et lui, et ils s’aimaient si fort que tout le monde prédisait un mariage et que les infirmières laïques en pleuraient d’attendrissement. Trois semaines plus tard, ils se sauvaient chacun de leur côté, — brouillés à mort, — sans avoir d’ailleurs jamais su pourquoi.

— Très bien », dit Torral.

Sans écouter, Mévil griffonnait une carte. Il lut à mi-voix :

« Le docteur Raymond Mévil supplie l’exquise Hélène Liseron de daigner tout à l’heure accepter sa voiture pour rentrer chez elle par le chemin le plus long. »

— « Maintenant, dit-il, on sort. Je vous invite ; toi, Fierce, spécialement : une première nuit saïgonnaise, des gens tels que nous ne la dorment pas. Nous enlevons cette femme charmante et nous partons d’abord pour Cholon, lieu idoine à la sorte de fête que je combine. Après Cholon, n’importe où. Et, à l’instar des gens les plus vertueux, je veux que nous voyions demain l’aurore.

Ils se levèrent. Fierce donna un dernier regard aux