Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/43

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fit face et réattaqua la phrase rebelle. Mais c’était trop haut ; elle changea de ton, insolente, sans souci de l’orchestre ; ce fut trop bas. Les sifflets repartirent. Elle s’arrêta derechef, mit ses poings sur ses hanches, puis, flegmatiquement, philosophiquement, d’une voix très douce qui s’insinua dans toutes les oreilles hostiles, elle prononça : M...., et tourna le dos.

Il y eut un silence suffoqué. Mais, tout aussitôt, quelqu’un applaudit avec fureur, et la chanteuse, plus stupéfaite que personne, se retourna bouche bée. Elle vit un beau garçon élégant qui la dévorait du regard en déchirant ses gants de soie, et, charmée, elle lui jeta un baiser dans une révérence. Mévil, cinglé dans son caprice par ce baiser comme par un coup de fouet, arracha ardemment l’orchidée de sa boutonnière pour la lancer aux pieds de la fille. Et ils se regardèrent en souriant, comme si c’eût été déjà convenu qu’ils coucheraient ensemble.

Après tout, cette comédie à deux personnages en valait une autre, et le public, intéressé, se mit à rire et bientôt battit des mains. Les hommes, leurs yeux allumés, se poussaient du coude ; les femmes, méprisantes et jalouses, jetaient quand même leurs fleurs à l’héroïne pour qu’on ne vît pas leur jalousie. Ce fut une façon de succès théâtral que les deux amoureux purent se partager.

Mévil, cependant, interrogeait :

— « Qui est-ce ? Comment s’appelle-t-elle ? »

Un spectateur s’empressa de fournir la réponse, fort glorieux de se mêler l’aventure.