Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/58

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rires ivrognes. Torral triomphant fit un discours par lequel il prouva qu’il était un guide itchiban, — numéro un, — et que désormais le monde des voluptés leur était ouvert ; ils n’avaient qu’à dire Sésame… À quoi Fierce, plus taciturne à mesure que l’air de la nuit augmentait sa saoulerie, répondit par un seul mot, et réclama des Japonaises. Ils envahirent une maisonnette blanche qui avait l’air d’une villa rustique, et s’assirent bruyamment au milieu d’un cercle de fillettes-bibelots, drapées de robes à grandes fleurs, qui riaient à menus rires, avec beaucoup de décence et de politesse.

Fierce, connaisseur en Japonaises, choisit la plus jolie et la suivit dans une cellule tellement propre qu’il ôta ses souliers à la porte, ce dont elle le remercia comme d’une courtoisie d’homme très bien élevé, car c’est l’usage au Japon. Ils causèrent. Elle l’écoutait très sérieuse, attentive à comprendre sa voix alourdie et gardant soigneusement sur ses lèvres peintes son sourire correct et réservé.

Il parlait bien japonais, elle fit des mines admiratives. Elle lui dit son nom : Otaké-San, Mademoiselle Bambou ; il comprit Otaki-San, Mademoiselle Source, et cela la fit rire aux larmes. Elle lui dit aussi son âge, treize ans. Elle craignait qu’il ne la trouvât trop jeune, sachant qu’en Europe, les femmes attendent d’être vieilles pour n’être plus « pures comme le Fousi-San très pur ». Mais il lui expliqua qu’il avait pris à Hong-Kong le goût des Chinoises de dix ans, et qu’elle lui paraissait au contraire très grande personne. Elle