Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/57

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leurs je m’en fous. J’habite à deux pas et je rentre. Ce qu’il me faut pour l’instant, c’est un lit. »

Il tenait à pleins bras la taille de sa maîtresse, et tous deux marchaient bouches jointes, ce qui n’allait pas sans trébuchements.

— « Tu es ivre, affirma Torral. On ne se quitte pas. Suivez-moi tous. »

Il prit la tête de la bande ; mais au lieu de descendre la rue, il la remonta. Un chat, effaré de leurs cris, bondit de l’ombre d’une porte ; Hélène, frôlée, poussa un cri perçant, et Fierce, qui marchait le dernier, lança sa canne à la bête fuyarde. Le chat roula, les reins cassés, et Torral se détourna pour l’achever d’un coup de talon. Après quoi, il le prit par la queue, fit un moulinet, et en calcula tout haut la circonférence. Cependant ils arrivaient devant la cathédrale, et firent halte, absolument stupéfaits de n’être point où ils croyaient.

— « La maison du dénommé Dieu ? exclama Torral furieux comme d’une plaisanterie stupide. — Celle-là est trop raide ! »

Il fit tournoyer le cadavre du chat, et, à toute volée, le jeta contre l’église. Après quoi, rasséréné, il s’orienta, et repartit en sens inverse, — les autres le suivant toujours sans objection. Et ils ne se retournèrent pas pour voir, derrière eux, les deux flèches sombres, dédaigneuses, se renfoncer dans la nuit.

Cette fois, ils arrivèrent à bon port. Ailleurs, la ville dormait toute ; mais là, chaque maison, gueule ouverte, rougeoyait, et il sortait de partout de grands