Aller au contenu

Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fierce s’en alla fort calme, suffisamment fataliste pour qu’aucune nouvelle n’entamât sa sérénité, et d’ailleurs courageux physiologiquement. Il souriait en pensant à l’amiral.

— « Un échappé de l’autre siècle qui a manqué sa vie sans s’en douter. Sous Napoléon, c’eût été une façon de grand homme. Aujourd’hui, un grotesque. Mais sympathique en somme. Et je l’aime comme il est, tout en me moquant de lui. »

Vers dix heures, Fierce, la besogne finie, se retrouva sur le quai, — en uniforme ; il n’avait pas pris le temps de changer de vêtements. Par hasard, une brise assez vivante balayait la chaleur des rues et il faisait encore bon marcher, — à l’ombre.

Fierce allait devant lui, choisissant les arbres touffus et les maisons à arcades. Éloigné de Saïgon depuis huit mois, il goûtait un plaisir de voyageur à reconnaître chaque coin de la ville ; en même temps, le contraste violent de l’été saïgonnais d’aujourd’hui et de l’hiver nippon qu’il venait de quitter lui était un malaise presque douloureux, mais qui lui plaisait parce qu’il le savait rare. Et tout cela réuni charmait sa promenade. Il arriva au Jardin sans s’être irrité de la poussière ni du soleil. Et il marcha dans les allées sablées de rouge, entre les pelouses et l’arroyo sinueux. Des ruisseaux coulaient en méandres, tellement enfouis sous les joncs et les fougères des rives, que l’eau ne s’en voyait pas. Tous les arbres du Tro-