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Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/78

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pique se mêlaient en une forêt miraculeuse d’où le soleil était exclu. Mais le plus bel ornement de ce parc sans rival, c’étaient des bouquets de bambous agglomérés dont les tiges grêles, serrées en faisceaux, s’épanouissaient plus haut que la cime des aréquiers et des tamarins ; de loin, chaque bouquet semblait un seul arbre, vaporeux comme une dentelle, et colossal.

Les allées rouges étaient désertes ; sur l’arroyo, un sampan dérivait au fil de l’eau, silencieux sous son couvercle de paille tressée.

Fierce s’égara agréablement sous la forêt exotique. Un sentier le tenta, parce que des palmes multiformes, entrelacées en voûte, en faisaient un souterrain vert, et parce que ce souterrain fort contourné semblait tous les dix pas butter contre un buisson et finir en cul-de-sac. Un ponceau le prolongeait au delà d’une mare croupie, tachée de lotus, laquelle s’encadrait de grosses grilles de fer hérissées : la tête plate d’un crocodile émergeait au milieu, immobile comme un tronc d’arbre. Fierce renifla le relent fétide, noyé dans le parfum despotique des magnolias ; et il flaira, encore lointaine, une autre odeur plus fauve.

Les magnolias et les palmiers s’éclaircissaient. Une fois de plus le sentier tourna, et le bois finit. Une grande cage s’adossait aux derniers arbres, et des, indigènes, des soldats, des femmes, — trois ombrelles claires d’Européennes, — regardaient.

C’était la cage aux tigres. On n’en voyait que deux, mais formidables, indescriptiblement majestueux et grands. La femelle faisait semblant de dormir, étalée